c) Certaines conditions réunies pourraient permettre de se passer sans souci l’ajustement par le taux de change


  • Le degré d’ouverture

Une économie, surtout si elle est très ouverte ne regrette pas la dévaluation - dépréciation car elle y était généralement inefficace (Mac Kinnon, 1963) : mais cela ne nous donne pas pour autant de réponse quant au mode d’ajustement.

  • Le degré de spécialisation

Une économie très diversifiée, en cas de choc portant sur une catégorie de produits donnée, peut se passer sans souci de la dévaluation – dépreciation du fait que d’autres produiots permettent de compenser les difficultés subies par l’un d’entre eux (Kennen, 1969)
Mais cela ne nous donne pas pour autant de réponse quant au mode d’ajustement

  • Le taux d’inflation

Quand un pays connaît une dégradation de sa compétitivité-prix, celle-ci résulte souvent d’un différentiel d’inflation défavorable. La dévaluation-dépréciation était souvent une réponse.
Ainsi, la convergence entre deux pays en matière de taux d’inflation est une cause importante de non-nécessité de pouvoir avoir recours à la dévaluation-dépréciation ; c’est donc un critère clé dans la constitution d’une zone monétaire optimale. (Haberler, Fleming, 1970/71),
L’importance de ce critère est considérable. Il est un fondement théorique du processus de convergence que le traité de Maastricht a imposé à tout pays candidat à la monnaie unique.
Mais cela ne peut suffire à constituer un substitut à l’ajustement par le change.

 

d) L’intégration fiscalo-budgétaire (Johnson, 1970)


  •  Principe

Le pays qui subit un choc de demande (perte des débouchés extérieurs) et qui a renoncé à la dévaluation étant donné qu’il participe à une zone monétaire, doit pouvoir au moins utiliser sa politique budgétaire pour procurer aux entreprises du pays des débouchés intérieurs supplémentaires compensant la perte des débouchés extérieurs.
Or, le problème, c’est que, par hypothèse, le pays est un pays fragile. Donc, ses recettes fiscales propres ne sont pas à la hauteur d’une telle dépense. Une telle politique de soutien budgétaire à l’activité de la demande, menée par le pays laissé seul face à ses problèmes, déboucherait vite sur un déficit budgétaire élevé et une dette publique insoutenable. D’où la justification des critères de convergence budgétaire prévus par le traité de Maastricht, renforcés par le pacte de stabilité budgétaire.
La solution réside donc dans l’aide fiscale apportée par les autres pays de la zone monétaire. On entre ici dans une logique de solidarité, de stratégie coopérative entre les pays membres. Ce qui revient à dire que pour que la zone monétaire soit optimale, il faut qu’une partie non négligeable des recettes fiscales soit mise en commun, que les pays membres de la zone monétaire soient interdépendants du point de vue budgétaire  (« intégration fiscale »).

On peut envisager deux grandes modalités de cette intégration fiscale :

  • Une forme « minimale », ponctuelle de cette modalité. Il s’agit d’une solidarité, « au coup par coup », relativement facultative, sans institution particulière qui l’organise et qui l’impose aux pays membres. Le problème, c’est que, selon ce qu’enseigne la théorie des jeux, il est très probable que, en l’absence de structure contraignante, la coopération fonctionnera mal ou pas du tout (« dilemme du prisonnier ») : chaque pays, n’étant pas sûr d’obtenir l’aide des autres, n’accorde pas la sienne .
  • Il est donc souhaitable que la solidarité fiscale soit permanente : Elle l’est s’il existe un budget commun, propre à la zone monétaire, distinct des différents budgets nationaux des pays qui la composent. Ce qui suppose la réalisation de deux conditions subséquentes :
- Le budget commun doit être assez important, à la hauteur des besoins
- Il doit être géré par une autorité qui dispose de compétences suffisantes (lever des ressources communes et décider des dépenses). L’enjeu démocratique est incontournable.


  • Appréciation

Un tel système fonctionne très bien lorsque la zone monétaire correspond à un État unitaire (type la France) ou à un État fédéral (type les États-Unis, la République Fédérale d’Allemagne, …). C’est ce qui se passe couramment lorsque, en cas de choc frappant un des États de l’Union (choc asymétrique), les ressources de l’État central ou de l’État fédéral viennent s’ajouter aux ressources des collectivités locales (au sens large) pour faire face aux dépenses à engager.

  • Un premier exemple peut être donné avec la tempête de décembre 1999 qui, en France, a plus frappé certaines régions que d’autres. Idem pour les inondations de 2002 dans le Sud-Est. Les aides de l’Etat, financées par des impôts prélevés sur l’ensemble du territoire, sont venues compléter les dépenses publiques des collectivités locales touchées (solidarité, intégration).
  • De la même manière, aux États-Unis, lors de catastrophes naturelles frappant un ou quelques États particuliers (choc asymétrique), les aides apportées par le budget fédéral complètent les dépenses des États (tremblement de terre de Californie en 1992, ouragans dévastant la côte Est, la Louisiane, …).
  • Un autre exemple est donné par l’Allemagne, lors de la réunification (1991, 1992) : la réunification constitue un choc asymétrique pour les länder de l’Est, mal préparés à faire face à la forte compétitivité des entreprises de l’Ouest. Les aides fédérales massives qui leur ont été apportées leur permettent de supporter le choc et d’accompagner les restructurations nécessaires. Le coût est énorme et les ressources fédérales normales n’ont pas suffi : l’État fédéral allemand a dû emprunter (=> tension des taux d’intérêt qui, à son tour, a représenté un choc exogène pour les autres pays du SME), par contre, au niveau européen, aucune solidarité budgétaire n’a joué.


L’intégration fiscale est beaucoup plus limitée lorsque la zone monétaire est constituée de plusieurs pays qui restent politiquement et donc budgétairement indépendants. Des pistes d’évolution :

  • L’autorité budgétaire : dans une simple zone, il n’y a pas d’autorité au pouvoir fort comme l’exécutif central d’un État unitaire (type France) ou fédéral (type États-Unis ou Allemagne). Le Conseil des ministres, s’appuyant sur une expertise (Conseil d’analyse économique) et  statistique (Eurostat), ratification devant le Parlement européen renforcé
  • Le PSC est pro cyclique ! Il devrait permettre des dépenses en cas de crise et oblige à la reconstitution de ressources en période plus faste (contra-cyclique)
  • Pour aller au-delà de la coordination des budgets nationaux : la taille du budget communautaire devrait être renforcée avec de nouveaux transferts de souveraineté couplés avec des contrôles démocratiques accrus (Parlement) – Peut-être serait-il nécessaire de commencer par les avancées démocratiques, les peuples ayant déjà été échaudé 
  • La solidarité budgétaire n’existe pas comme système organisé (cf. la Grèce). Il faut construire des règles de coopération permanente et ne pas gérer au coup par coup ce qui ne fonctionne pas (ex : Grèce)


« Ainsi, le fédéralisme budgétaire permet d'effectuer des transferts entre les régions (choc asymétrique) ou d'endetter la fédération pour relancer l'économie (choc symétrique). Ces fonctions de stabilisation et de redistribution ne sont possibles que pour un budget significatif ; mais elles supposent que les membres de la fédération soient d'accord pour s'aider les uns les autres en fonction des événements. Une telle entraide n'est pas naturelle, et l'est d'autant moins dans la zone euro où les situations économiques et politiques sont très diverses.

Il existe déjà des fonds structurels (FEDER, FSE, etc.). Ils constituent un transfert net de certains pays vers d'autres pour favoriser la convergence des économies. Toutefois, leur faible volume relatif et leur difficile utilisation n'en font pas une solution efficace pour résorber les chocs asymétriques de long terme.
La faiblesse du budget communautaire pour faire face aux crises asymétriques de court terme (crise des subprimes) ou de long terme (manque de compétitivité de la Grèce) explique la fragilité de la zone euro.

Pour éviter de heurter les sensibilités nationales, la création d'un fédéralisme budgétaire doit avancer pas à pas et s'appuyer sur un fédéralisme fiscal approprié. Comme pour la PAC, la politique des petits pas a fait malgré tout ses preuves et pourrait permettre d'élargir le champ de compétences de l'Union européenne et des budgets afférents.

Cette communautarisation ne doit pas aller à l'encontre du principe de subsidiarité, qui s'inspire des travaux de Musgrave  : l'efficacité optimale est atteinte lorsque les budgets, bien qu'utilisés au niveau local, sont collectés au niveau central.
Autrement dit, un fédéralisme budgétaire peut se comprendre d'abord comme un fédéralisme fiscal : les Etats membres paient une cotisation à l'Union européenne qui leur reverse une partie, éventuellement la même, pour mener leurs politiques. Ce fédéralisme fiscal, qui n'empiète pas directement sur la souveraineté des Etats est la technique la plus facile à mettre en œuvre pas à pas.
Les critères de collecte puis de répartition équitable permettraient d'ailleurs de régler un certain nombre d'enjeux politiques. En cas de choc asymétrique, les pays touchés verseraient moins mais toucheraient plus.


Mais ces mesures techniques bien connues  ne pourront avoir lieu sans un progrès préalable des aspects démocratiques de l’Union européenne.

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Un très bel article de synthèse sur le fédéralisme budgétaire dans la zone euro, depuis le site web de la Fondation Robert Schuman.

 

 

Pour un fédéralisme budgétaire dans la zone euro - Fondation R. Schuman
Pour un féddéralisme budgétaire dans la
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