b/ Remarques sur le processus et ses adaptations


* Les dispositions initiales du traité
Le passage à la monnaie unique repose sur le gradualisme : cela a l’avantage du réalisme et de la pédagogie dans chaque pays par rapport aux nouvelles exigences de la future union (cf. le rapport Werner et le projet de réalisation d’une monnaie unique en 1969, sommet de La Haye).
Le calendrier est contraignant : il comporte des étapes à valider avec des dates butoirs à respecter. C’est le résultat d’un compromis entre l’Allemagne et la France, en 1991, au moment des négociations.
 

Les Allemands ont des préoccupations économiques
 Ils ont peur de s’associer, dans l’expérience de la monnaie unique, avec des pays coutumiers de l’inflation, des déficits et des dévaluations (France, Italie, …). Ils redoutent de faire un marché de dupes en abandonnant le deutschemark (ne jamais oublier le traumatisme monétaire de l’hyperinflation de 1923 et du sortir de la 2°GM pour les Allemands)

C’est pourquoi les Allemands exigent que le traité comporte un processus contraignant  de convergence vers la stabilité et l’équilibre, un statut de la future Banque Centrale européenne (BCE) calqué sur le modèle de la Bundesbank : indépendance du pouvoir politique, mission : un objectif unique, la stabilité des prix, interdiction de financer les déficits budgétaires par la création monétaire.


Les Français ont des préoccupations géopolitiques
Ils ont peur que l’Allemagne, qui vient de se réunifier, ne soit tentée par une aventure en solitaire : devenir la grande puissance de l’Europe Centrale, déployant son influence sur les anciens satellites de l’ex-URSS. (politique de Bismarck à la fin du XIXe siècle). Dans ce cas, elle risquerait fort d’abandonner le processus d’unification monétaire en cours de route.
C’est pourquoi les Français exigent que le traité comporte un calendrier contraignant : aux différentes étapes sont associées des dates butoirs.

* Les adaptations en cours de processus en matière budgétaire dans le sens d’un renforcement des contraintes

- Au niveau du budget de l’union (« budget communautaire »)
Chaque année, le Parlement européen (Strasbourg) vote le budget de l’Union.
La conception adoptée est une conception minimaliste (rôle réduit du Parlement et de son budget) : le Parlement ne peut lever directement des impôts (il n’y a pas d’impôts « européens »), le budget est plafonné à 1,27 % du PIB (devenu 1% désormais, le budget de la Suisse) de l’Union, ce qui limite son poids économique (A titre de comparaison : France, autour de 20 % du PIB) et il ne peut être en déficit.

- Au niveau des budgets nationaux : le pacte de stabilité budgétaire (1996)
En 1996, les futurs pays membres de l’Union monétaire décident de renforcer les critères de discipline budgétaire déjà établis par le traité (c’est-à-dire la limitation du déficit budgétaire national à 3 % du PIB). Pour cela, ils passent entre eux un accord (« pacte ») : en cas de déficit excessif, le pays concerné reçoit un avertissement, un rappel à l’ordre puis peut être sanctionné (dépôt obligatoire non rémunéré auprès de la Banque Centrale Européenne irrécupérable si rien n’a été redressé dans les trois ans ? amende).
De 1996 à 2000 le pacte ne semble pas poser problème : la croissance est là. En 1997, le gouvernement Jospin obtient que le pacte intègre un volet concernant la croissance et l’emploi : il devient « Pacte de stabilité et de croissance ».
Avec le retour de la récession à partir de 2001, le pacte de stabilité est à nouveau critiqué en limitant fortement la possibilité de mener une action contracyclique. Il fait dire que l’Union, à défaut d’une politique budgétaire, s’est dotée d’une police budgétaire. Cette remarque reviendra dans les années suivantes.

* Les premiers résultats (fin années 1990 – début années 2000)

- Le processus monétaire est un succès indéniable (rappel)


1. Le lancement de l’euro (1er janvier 1999)
En mai 1998, la liste des onze pays constituant l’union monétaire, la nouvelle « zone euro », est publiée : sur les 15 pays membres de l’Union, un pays n’est pas prêt (la Grèce, elle intégrera la zone euro par la suite, pas nécessairement mieux préparée) d’où, une zone monétaire à 12 membres, puis à 13 [2007] : Slovénie ) ; trois pays ont satisfait aux critères mais ne veulent pas intégrer la zone (la G-B, le Danemark et la Suède. La convergence a été remarquable.
Le 31 décembre 1998, la valeur officielle de l’euro est adoptée : pour le franc, il est de 1€= 6, 55957 FF.
Le 1er janvier 1999, l’euro est officiellement né : les parités entre les 11 monnaies sont désormais irrévocables. la banque centrale européenne devient la banque centrale unique de la zone, les différentes banques centrales nationales en étant les « relais » dans les différents pays .

 

2. La mise en place pratique de l’euro (1er janvier 1999 – 30 juin 2002)
La mise en place effective de l’euro a été étalée sur une période de transition de trois ans et demi.
?    Dans un premier temps, l’euro coexiste avec les onze monnaies nationales (1999, 2000 et 2001). Dans chaque pays, deux monnaies ont cours légal : l’euro et la monnaie nationale. L’euro n’est utilisé que pour les opérations interbancaires en monnaie scripturale. Les autorités monétaires préparent la population à l’utilisation effective de l’euro.
?    Dans un second temps, le 1er janvier 2002, c’est le lancement de l’utilisation de billets et de pièces en euro et le retrait progressif des billets et pièces en monnaies nationales (->30/06/02).
L’opération, compte tenu de sa lourdeur et de sa complexité, a été considérée, de manière quasi unanime, comme une réussite historique.

-  Les effets ambivalents sur la croissance (1992-2001)

 

Dans un premier temps (1992-1996), le processus a joué contre la croissance
Chaque pays a mené une politique restrictive destinée à assurer la convergence imposée par Maastricht (ajustement interne. L’effet est plutôt récessif du fait de l’interdépendance conjoncturelle de ces situations peu coopératives.
A l’opposé, une coordination de ces politiques avec une stimulation généralisé de l’activité compatible avec la stabilité des prix (stratégie coopérative) aurait permis de converger « par le haut » (avec croissance vigoureuse et chômage réduit) et non « par le bas » (« croissance molle », selon l’expression de Jean-Paul Fitoussi, et chômage élevé).
Pour chaque pays de la zone euro, il y a assainissement de l’économie : le processus de désinflation, déjà entamé dans les années 1980, est renforcé mais la croissance réelle est restée en deçà de la croissance potentielle, ce qui est sous optimal.

 Dans un second temps (à partir de 1997/98), l’effet favorable sur la croissance a dominé
Le processus a fini par être crédible, ce qui a contribué à la reprise de la croissance. 
La poursuite obstinée des politiques de stabilité à moyen terme (prix, change, finances publiques) et la convergence en marche ont fini par convaincre les opérateurs sur les marchés de capitaux. Par conséquent, ils ont exigé des taux d’intérêt à long terme de moins en moins élevés d’où un effet favorable à l’investissement. Une manifestation nette de cette crédibilité a été l’attitude des marchés lors des crises financières: l’Europe a alors été considérée comme un « habitat sûr» : une partie des capitaux s’y est réfugiée (« flight to quality »).

En juin 1997, le traité d’Amsterdam, pose le principe d’une coordination des politiques économiques. On retrouve, à côté des préoccupations monétaires et financières, des préoccupations « réelles » : on ajoute un chapitre « Emploi » au traité de Maastricht (il est reconnu comme un « sujet d’intérêt commun », le pacte de stabilité budgétaire de 1996 devient officiellement le « pacte de stabilité et de croissance » à l ‘initiative de la France. On retrouve la notion de « croissance équilibrée » (Kaldor, keynésien), qui était quelque peu tombée en désuétude dans ces années où la préoccupation de la stabilité monétaire (désinflation et stabilité des changes) avait pris le dessus.
Cependant l’application reste timide. On en reste au plan des principes ; il n’y a pas unanimité pour s’engager dans une coopération active (problème des institutions). En décembre 1997, il y a création du Conseil de l’euro ou « Eurogroupe » afin de permettre une meilleure coopération entre gouvernements des pays membres de la zone monétaire (en particulier en matière de politique budgétaire). Mais il s’agit d’une simple structure de coordination, informelle, sans pouvoirs réels.

Il y a donc une asymétrie nette, dans la zone euro, entre :
- la politique monétaire, décidée de manière unique par la BCE, totalement indépendante des Etats et dotée de pouvoirs forts
- la politique budgétaire, décidée de manière nationale donc dispersée et médiocrement coordonnée par ce Conseil de l’euro au statut et aux compétences incertaines
L’Union européenne souffre déjà d’un problème de gouvernance. Si l’on avait appris qu’une zone commerciale avancée ne pouvait pas être viable sans intégration monétaire avancée, les années à venir vont faire réaliser qu’une Union économique et monétaire ne peut être viable sans coordination politique adaptée. La gouvernance va être le talon d’Achille de l’Europe pour des années.

 

3. Dans un troisième temps, avec le lancement de l’euro (période de transition, 1999 - 2001) les effets favorables de la monnaie unique se confirment
La politique monétaire retrouve son autonomie : elle n’est plus monopolisée par la défense de la stabilité du change entre différentes monnaies européennes puisqu’elles se sont fondues dans l’euro.
D’où la possibilité de remobiliser la politique monétaire au service d’une croissance plus vigoureuse et équilibrée (stabilité des prix) : on le perçoit dans la politique initiale assez pragmatique de  la BCE qui a diminué les taux d’intérêt à court terme à plusieurs reprises. La mise en place de l’euro a desserré la contrainte extérieure financière..

Très rapidement, la confiance des détenteurs de capitaux dans la nouvelle monnaie a été importante.