Euro : en sortir, ne pas en sortir ?

 

Introduction

La construction de la monnaie unique qu’est l’euro, monnaie d’une union économique et monétaire aujourd’hui à XX membres, a connu des détracteurs.

En particulier depuis la crise financière qui avive les tensions, des voix s’élèvent pour proposer une sortie de l’euro comme solution afin de retrouver des marges d’action face aux difficultés rencontrées.

 

Ici pas de science fiction, surtout pas ! Essayer de dégager des éléments de compréhension.

 

Rappel : il y a eu un cours d’Économie européenne en 2012-2013 (cf. Archives sur le site web)

 

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Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis imposent aux anciens pays belligérants d’Europe de coopérer s’ils veulent pouvoir bénéficier des aides du plan Marshall (1947).

  • C’est l’origine de l’OECE (Organisation Européenne de Coopération Économique, ancêtre de l’actuelle OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique, 1960). L’objectif des Américains est de favoriser la création d’un ensemble homogène face à la constitution du bloc soviétique (1947 : début de la guerre froide).
  • C'est la création du Conseil de l'Europe (1949) dont la mission est de promouvoir la coopération sur les questions juridiques, sociales et culturelles.

En fait, il existe déjà en Europe tout un courant favorable à l’unification.

Il est représenté, pour l’essentiel, par l'un des grands courants politiques au pouvoir à cette époque - la « démocratie chrétienne » (parti de centre droit). Ses leaders, au pouvoir en même temps dans les différents pays, sont devenus ainsi les « pères fondateurs » de la construction européenne sont l’Allemand Konrad Adenauer, l’Italien Alcide de Gasperi, les Français Robert Schuman et Jean Monnet.

 

L’objectif est d’empêcher le retour des conflits entre pays européens « Plus jamais ça ! ».

 

La stratégie, selon les pères fondateurs de l’unification européenne, c’est de créer des « solidarités de fait ».

  • L’idée directrice : leur projet est politique ; ils savent très bien que l’économie seule ne peut empêcher la guerre (le « doux commerce » de Montesquieu -idée que le commerce est porteur de paix - n’est pas un principe suffisant). Il s’agit de se donner pour but un espace politique en le construisant par l’économique, sans perdre de vue l’objectif politique. Les différents pays renonceront à la guerre non pas au nom de grands principes mais parce qu’ils auront mis en place des réalisations communes, qu’ils auront rendu leurs économies mutuellement dépendantes, solidaires, par le développement de productions communes et la multiplication des échanges (cf. le « doux commerce » de Montesquieu : le commerce favorise la paix).

 

  • On décide de créer ces solidarités de manière progressive :
  • De façon pragmatique, on commence modestement par ce qui est le plus important pour la reconstruction : la production et l’échange de charbon et d’acier (CECA, Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, 1951)
    Un projet de Communauté Européenne de Défense est lancé mais il échoue.
    Six pays – l’Allemagne, la France, l’Italie, la Belgique, la Hollande et le Luxembourg (« Benelux ») décident de créer entre eux une « Communauté Economique Européenne », à compétence générale, et une « Communauté européenne de l’énergie atomique » (« Euratom ») (traité de Rome, 1957).

Des institutions sont prévues pour mettre en œuvre le traité : le but est de nature politique

  • Le Conseil des ministres composé des ministres des pays membres concernés par une question
  • La Commission a un pouvoir de proposition puis exécute les décisions du Conseil
  • L’Assemblée européenne, à l’origine, a un pouvoir essentiellement consultatif
  • La Cour de Justice arbitre les litiges qui peuvent naître de l’application des traités
  • Autres organismes, spécialisés, dont le FEOGA (agriculture) et la BEI (Banque Européenne d’Investissement)

 

La construction européenne est marquée dans son projet par une histoire meurtrière et guerrière (Deux guerres mondiales et la guerre froide).

Elle est aussi marquée dans sa réalisation par une contradiction entre élargissements, guidé par des logiques géopolitiques, et approfondissement, guidé par des logiques économiques et marqué par un déficit démocratique.

On voit aussi que la CEE ou l’UE ne sont pas l’Europe : Europe de l’Ouest, de l’Est, Europe balkanique, etc.

 

On se centrera ici sur les aspects plus monétaires de la construction européenne mais on verra que l’on ne peut pas ne peut pas délaisser les autres aspects du sujet.

 

 

1. La construction européenne : le besoin précoce de coopération monétaire qui aboutit à une monnaie unique l’euro

Il s’agit de comprendre pourquoi la coopération monétaire est une question qui s’est assez vite posée et a abouti relativement rapidement à une construction unique : la zone euro.

 

A. Du Traité de Rome (1957) au début des années 1980 

1) La constitution d’un bloc commercial régional sans référence monétaire

La CEE prévoit la constitution d’un marché commun à 6. Notons déjà qu’en 1973, trois nouveaux pays adhèrent à la CEE : la Grande-Bretagne, l’Irlande, le Danemark.

 

a) La CEE se constitue progressivement en union douanière, étape intermédiaire avant le marché commun

1/ La mise en place par étapes au cours des années 1960

Les six constituent à la création une zone de libre-échange.

Définition : une zone de libre-échange est un espace où les produits circulent librement.

Dans cette zone de libre-échange à 6, les biens circulent de plus en plus librement entre les pays membres par suppression des restrictions tarifaires (droits de douane) et non tarifaires (contingentements [quotas d’importations] concernant les biens (les marchandises) (la libéralisation des échanges de services n’interviendra que plus tard ).

En 1968, ils adoptent un tarif extérieur commun (TEC) vis-à-vis des pays tiers (c’est-à-dire des pays non membres). Ce TEC est fixé dès le départ à un niveau assez bas : la CEE entend participer activement au mouvement général de libération progressive des échanges prévue au niveau mondial par les accords du GATT dont les six pays membres de la CEE sont signataires (cf cours 2011 – 2012).

Ils constituent alors une union douanière limitée aux biens (hors les services).

Définition : une union douanière est une zone de libre –échange augmentée d’un TEC.

 

2/ L’implication : un abandon de souveraineté 

En signant le traité de Rome, chaque pays membre a décidé de réduire puis de faire disparaître son pouvoir de décision individuel en matière de politique commerciale. Il est volontairement limité par le dispositif commun auquel il adhère, vis-à-vis des autres pays membres (zone de libre-échange) et vis-à-vis des pays tiers (TEC).

 

b) Les raisons en faveur de la mise en place du libre-échange coopératif régional

L’Europe sort fragmentée économiquement par le dispositif fortement protectionniste installé pendant la période de l’Entre-deux-guerres et de la guerre.

L’intégration des pays européens dans un grand ensemble où le libre-échange deviendrait la règle permettrait aux populations de jouir des avantages qui s’attachent à la liberté des échanges, sous réserve qu’il soit coopératif et multilatéral et non pas unilatéral. (Attention, le vocabulaire libre-échange recouvre des choses extrêmement différentes, entre l’unilatéralisme du libre échange concurrentiel et le multilatéralisme du libre-échange coopératif !)

 

Il est à noter que le GATT n’émet pas de réserve sur la CEE pour la raison que la zone est globalement créatrice nette de trafic ; elle participe au mouvement de diminution des obstacles à l’échange et à la promotion d’un libre-échange négocié, coopératif.

 

2) Une politique économique commune : la politique agricole

 

3) La coopération monétaire des pays membres : la recherche de la stabilité monétaire

a) Les orientations

1/ Position du problème au moment de la création de la CEE (1957)

a/ L’idéal, pour un ensemble de pays qui mettent en place entre eux une forte intégration commerciale, est d’utiliser une même monnaie

En effet, la diversité des monnaies occasionne des coûts supplémentaires.

Il s’agit de coûts de transaction liés au change (frais bancaires) et à la couverture du risque de change, qui amputent les profits ou qui obligent à augmenter d’autant le prix des produits. Ces coûts sont improductifs :ils ne sont pas la contrepartie de la production de biens et de services supplémentaires. Avec une coopération monétaire, il serait possible de se procurer le même volume de biens en provenance de l’étranger sans supporter de tels coûts, à prix plus faibles => gain à l’échange moindre.

Il s’agit aussi du fait que la manipulation du taux de change entre les membres revêt un caractère de protectionnisme monétaire, aux effets autrement plus puissants parfois que les autres formes de protectionnisme non monétaire : des pays qui s’intègrent commercialement aussi fortement ne peuvent pas annihiler leurs efforts par des mouvements désordonnés des taux de change.

 

Certains ensembles bien intégrés l’ont compris et ont rapidement adopté une monnaie unique qui a favorisé les échanges et donc le bien-être des populations (gain à l’échange)

  • A la fin du XVIIIe siècle, les treize ex-colonies britanniques d’Amérique du nord s’unissent et adoptent très vite, dans les années qui suivent leur indépendance, une monnaie unique, le dollar.
  • Au XIXe siècle, en 1870, la réunification politique des différents États allemands au sein d’un Empire constitué autour de la Prusse se traduit par l’adoption d’une monnaie unique : le mark. (une étape préalable avait été franchie par l’adoption d’une monnaie commune, le thaler prussien (utilisée en commun à côté des différentes monnaies des États allemands). (= monnaie commune, ≠ monnaie unique).
  • En 1932, la mise en place de l’intégration commerciale des pays du Commonwealth à travers le mécanisme de la « préférence impériale » (accords d’Ottawa), est facilitée par la création de la zone sterling (utilisation, par les pays participant aux accords, de la livre comme monnaie internationale).

b/ Le cas de la CEE

En 1957, lorsque les six pays fondateurs de la CEE signent le traité de Rome, la question monétaire n’est même pas évoquée. Vouloir développer les échanges commerciaux entre des pays qui, à peine douze ans auparavant, étaient en guerre entre eux, apparaît déjà comme une entreprise difficile. Par conséquent, on n’envisage même pas, à l’époque, la possibilité d’y ajouter une dimension monétaire, encore plus délicate à mettre en place. Le traité de Rome ne contient donc aucune disposition d’ordre monétaire.

Au bout d’une douzaine d’années ( !), les pays membres constatent que la CEE est une réussite du point de vue des échanges commerciaux (en 1968, l’union douanière est achevée et plusieurs aspects d’un marché commun sont déjà en place). Ils envisagent donc d’aller plus loin dans l’intégration.