2/ L’enjeu

Se demander si la constitution d’une zone monétaire est une bonne décision et même si elle est la meilleure décision possible revient à dresser un bilan de la zone monétaire.
L’unification monétaire apporte des avantages
Mais elle a un coût : le renoncement à l’utilisation de la manipulation du taux de change est un moyen

  • relativement indolore d’opérer certains ajustements macroéconomiques, par rapport aux mesures d’ajustement interne (mesures de rigueur impopulaires)
  • discret (laisser la monnaie se déprécier est un moyen non officiel de protéger les activités nationales (protectionnisme douanier, visible et contraire aux engagements internationaux).


Il s’agit donc de faire un calcul coûts-avantages pour savoir si la constitution d’une zone monétaire est la meilleure solution possible pour chaque pays membre (rationalité individuelle) et pour l’ensemble de la zone (rationalité collective ; bien-être collectif) et de s’interroger par quel canaux les ajustements peuvent-ils donc être effectuer en cas de choc asymétrique.

Le passage à la monnaie unique a renforcé les spécialisations initiales
En outre, la plupart des économies qui composent la zone euro restent, d’une certaine manière, « spécialisées » autour de certaines activités qui sont autant de points forts pour le commerce extérieur. L’Allemagne autour de son industrie, la France dans le tourisme, le luxe et l’aéronautique, le Luxembourg autour des activités liées à la banque et à la finance, l’Irlande autour de l’optimisation fiscale, l’Espagne dans le tourisme et l’immobilier…
Lors du passage à l’euro, la croyance était que l’intégration monétaire ferait plutôt converger les économies les rendant essentiellement exposés à des chocs symétriques moins complexes à gérer que les chocs asymétriques… Au contraire, l’intégration monétaire a créé une spécialisation accrue des espaces rendant l’Union plus exposée aux chocs asymétriques pour lesquels les mécanismes et les institutions ne sont pas en place.
Convergence monétaire et divergence productive.


2) Les canaux d’ajustement face à un choc asymétrique dans le cadre de l’UEM (espace à monnaie unique)

Les analyses découlent d’une réflexion qui a été stimulée dans les années 1950-1970 par les interrogations sur le débat changes flottants - changes flexibles (années 1960-1970 : crise du SMI de Bretton Woods) et les perspectives d’unification européenne (La Haye 1969, projet d’UEM ; accord de Bâle 1972, serpent), …
L’auteur qui a livré les premières analyses fondatrices des zones monétaires optimales est la canadien Robert Mundell : The theory of Optimum Currency Area, 1961.


a) La flexibilité des prix et des salaires

La flexibilité des prix des facteurs pourrait être un substitut à la variation du taux de change.
C’est moins le prix de capital (il n’ y a pas moyen d’emprunter moins cher, le pays est preneur de prix sur les marchés internationaux) que le prix du travail qui pourrait  être envisagé.
C’est la « déflation salariale ». Les salaires sont depuis la moitié du siècle dernier plutôt rigides à la baisse, même si on a pu voir ici ou là des mouvements baissiers.
De plus, ce n’est pas une voie qui est envisagé de manière systématique comme une mesure coopérative du fait de son caractère dépressif sur la demande.
Cependant, des rémunérations qui stagnante avec une productivité accrue amènent à une diminution du coût salarial unitaire ce qui peut temporairement donner un « peu d’air’ à un pays membre en difficulté. Mais à moyen long terme, productivité moyenne et rémunération moyenne sont corrélées positivement.


b) La mobilité des facteurs de production

Faute de variation du prix des facteurs, reportons-nous sur les quantités.


1/ Le capital (critère de Ingram, 1962)

Si la mobilité du facteur capital est forte entre les pays membres, cela pourrait permettre un ajustement par investissement / désinvestissement. Mais ce sont des opérations de long terme et souvent stratégiques : on ne modifie pas une implantation à court ou moyen terme.
Ce n’est donc pas une solution opérationnelle pour amliorer le fonctionnement de l'UEM


2/ Le travail (critère de Mundell, 1961)

Selon Mundell, une zone monétaire optimale (ZMO) est un ensemble de régions dont la propension à migrer est suffisamment grande pour assurer le plein emploi lorsque l'une d'entre elles est soumise à un choc asymétrique. Selon ces critères, l'Europe est-elle une ZMO ?
Ainsi, d’après R. Mundell, au sein d’une zone monétaire optimale, la solution alternative à la variation du taux de change réside dans la mobilité élevée des facteurs de production.

Si la mobilité des travailleurs est forte entre les pays A et B, cette mobilité peut servir de substitut à une dévaluation, donc le choix en faveur de l’unification monétaire est optimal.
Le choc subit par un pays B se traduit par une crise de demande globale, du chômage, un fort déficit courant. Les chômeurs partent chercher du travail dans le pays A car, par hypothèse, il est épargné ou moins touché par le choc asymétrique. Le départ des travailleurs réduit l’offre globale en B, excédentaire, ce qui résorbe la crise de demande. Leur départ représente également une réduction du nombre des consommateurs donc des  importations, ce qui contribue à résorber le déficit courant de B
En d’autres termes, une dévaluation, de manière générale, est une politique d’exportation du chômage (on achète moins et on vend plus aux partenaires donc on réduit le chômage dans le pays et on l’aggrave à l’étranger). Ici, la mobilité des travailleurs de B, pour parler crûment, représente une « exportation »  des chômeurs eux-mêmes (en partant travailler à l’étranger [mobilité du facteur travail], ils contribuent à résorber la crise).

Ce transfert de population active résorbant des déséquilibres rappelle une analyse ancienne : celle d’Adam Smith dans la Richesse des nations (1776) (Remarque : la comparaison s’arrête-là : pour Smith, l’ajustement se fait essentiellement piloté par les prix [prix relatifs, profits, agissant sur l’offre] ; pour Mundell, c’est principalement un ajustement par les quantités, à la fois offertes et demandées). Mais les transferts intersectoriels et géographiques de main d’œuvre étaient forts, voire organisés (abolition de la loi de Speehamland, 1834)


On observe effectivement des cas où la mobilité du travail est forte et permet de réaliser des ajustements :

  • Les États-Unis sont un premier exemple : les habitudes fortes de mobilité géographique d’un État à un autre font que des situations locales difficiles sont surmontées par des migrations interétatiques.
  •  L’Allemagne fédérale : la réunification de 1991 a créé une zone monétaire (unification monétaire de la RFA et de l’ex-RDA, sur la base de 1 mark de l’Ouest = 1 mark de l’Est).

La réunification a constitué un choc asymétrique pour l’ex-RDA (choc de productivité : les activités de l’Est se sont trouvés brutalement soumises à la concurrence de celles de l’Ouest, beaucoup plus productives => faillite, pertes d’emplois).
A défaut de pouvoir dévaluer, les länder de l’Est ont amorti ce choc par des mouvements de population. Par exemple dans le Mecklenbourg-Poméranie, le land le plus pauvre, 100.000 habitants ont déménagé vers l’Ouest en 1992, soit 5 % de la population. De plus, 60 000 autres travaillaient dans la journée à Hambourg, Berlin ou Lübeck et revenaient le soir chez eux. Au total, dans cette région fragile où le taux de chômage était de 17 %, la mobilité du travail a permis un fonctionnement optimal de la zone monétaire nouvellement créée.



Cependant, il faut noter que la mobilité du facteur travail a des coûts humains et qu’elle est souvent limitée (éloignement géographique, culturel, linguistique, solidarités sociales…).

Ne pas surestimer le facteur linguistique : en France, aller travailler de Marseille à Lille ne souffre d'aucun obstacle linguistique.

Si l’on peut considérer que la mobilité du capital est un fait acquis au sein de la zone euro, il n’en va pas de même en ce qui concerne la mobilité du facteur travail. En effet, de nombreux obstacles ralentissent encore la mobilité des actifs au sein de la zone. Au-delà des traditionnels obstacles linguistiques ou des différences culturelles entre des peuples sans histoire commune (si ce n’est la guerre…), il peut s’agir des contraintes érigées par les États eux-mêmes (condition de nationalité pour devenir fonctionnaire, contrainte de diplôme national dans l’exercice de certaines professions) ou encore certaines réticences des peuples autochtones à accueillir et intégrer des actifs immigrés, même si ceux-ci sont européens (cf polémique sur le plombier polonais en 2005 ou plus récemment celle sur les « travailleurs détachés » en provenance des PECO).
Même si depuis la crise, on observe une intensification des flux migratoires du Sud (Espagne, Portugal, Grèce) vers le Nord (Allemagne principalement) de l’Europe, il apparaît clairement que le degré de mobilité des européens au sein de la zone euro reste bien moindre que celle des « états-uniens » sur le territoire américain. La citoyenneté européenne s’apparente davantage à un idéal (voire à un slogan vide de substance) plutôt qu’à une réalité tangible. Les récents élargissements à l’Est n’ont rien arrangé, alors même que les budgets alloués à Eramus, pourtant véritable creuset d’une citoyenneté européenne, ont été drastiquement revus à baisse…

La mobilité du facteur travail n’est donc pas une solution pour l’UEM.
C’est une des voies pour les Etats-Unis (culture)