2) Les spécificités des principes de l’économie solidaire

En France, Bernard Eme et Jean-Louis Laville ont conçu l'économie solidaire à partir du tiers secteur et des travaux de Jacques Delors. Mais là où le tiers secteur tend à distinguer les logiques, l'économie solidaire articule l'économie non marchande, l'économie marchande et l'économie non monétaire.

  • L'économie marchande correspond à l'économie dans laquelle la distribution des biens et services est confiée prioritairement au marché.
  • L'économie non-marchande définit la distribution des biens et services confiés prioritairement à la redistribution organisée sous la tutelle de l'État social.
  • L'économie non monétaire correspond une distribution confiée principalement à la réciprocité et à l'administration domestique.

L'économie solidaire donne à l'État un rôle central : elle ouvre un espace public défini comme un espace intermédiaire de médiation entre la sphère publique et la sphère privée. Elle génère du lien social et a donc des effets sociétaux, ce qui justifie le soutien de l'État : elle contribue donc à élargir l'espace public.

L'économie solidaire partage avec l'économie sociale une racine historique. Toutefois, les différences existent concernant :

  • le poids économique : l'économie sociale représente une part plus importante du PIB du fait de la place du mouvement mutualiste dans le système d'assurance, de l'importance financière des coopératives bancaires et de la croissance du mouvement associatif. L'économie solidaire quant à elle a un périmètre d’action souvent plus modeste
  • le rapport au productivisme : au moment de sa naissance juridique, l'économie sociale a cherché à produire autrement des biens et des services, mais l'équation plus de production égale plus de richesse collective n'était pas remise en cause. Par contre, la critique du productivisme à l'origine du concept de développement durable et partagé par l'économie solidaire
  • la finalité : un des éléments clés permettant de caractériser l'économie sociale est le principe de double qualité (le producteur et le bénéficiaire du bien et du service sont membres de l'organisation) ;  les décisions sont donc prises dans le respect de l'intérêt collectif. La finalité d’une organisation d'économie solidaire n'est pas l'intérêt collectif mais l'intérêt général (cette différence peut être visible à travers les problématiques environnementales par exemple), elle consiste à étendre et approfondir la démocratie.

 

C. Dans une moindre mesure, l’ESS héritière de l’économie alternative du dernier tiers du XX° siècle

 

1) Une alternative à l’économie de marché et à l’économie centralement planifiée

L'économie alternative se définit en premier lieu comme une alternative aux deux grands systèmes économiques connus : l'économie de marché et l'économie centralement planifiée.


Les deux types d’organisation

 

(La notion de type d’organisation est due à W. Eücken ; elle est proche de la méthode de l’idéal-type weberien).

 

Économie de marché

Économie centralement planifiée

Une économie décentralisée

Les agents prenant les décisions sont des entités autonomes et indépendantes.

 

Une économie centralisée

Le centre envoie des injonctions aux agents économiques en fonction de préférences collectives

Une économie d'entreprise

L'entrepreneur combine des prix et il est guidé par une comparaison de prix entre prix de revient et prix de vente.

L’entreprise comme institution cardinale (F. Perroux).

Une économie d’unités techniques de production

L’entrepreneur combine des facteurs selon les ordres du centre.

L’entreprise comme simple rouage d’exécution du plan.

 

Une économie de calculs en monnaie

La monnaie est un pont entre le passé, le présent et l'avenir.

Les prix transmettent de l'information et ont un double rôle : allocatif et distributif.

 

Une économie de calculs techniques

Au prix de marché et aux calculs en monnaie se substituent des évaluations administratives purement conventionnelles. Les plans et les ordres du centre sont établis en termes physiques. La notion de coût s’estompe ; la rareté n’a pourtant pas disparu…

 

Une économie où l’État intervient de façon indirecte et globale

L’économie est seulement orientée et les interventions ne pénètrent pas dans le détail du mécanisme économique : on parle « d’intervention conforme », respectueuse de la logique interne de l'économie.

 

Une économie où l’État est le seul centre de décision

A la contrainte du marché se substitue la contrainte de l’État. La disposition et l’attribution des biens sont réglées a priori par l’autorité centrale.