B. Économie collaborative et ESS

 

1) Au regard du modèle économique

 L’économie collaborative ou du partage semble porter des valeurs sociales (la consommation responsable ou la solidarité), voire morales (l’entraide ou l’altruisme).

  Cela semble la rapprocher de l’ESS mais le modèle économique comporte un vice fondamental qui semble l’en éloigner. L’indicateur : les contributeurs initiaux aux plateformes se révoltent contre les opérateurs des plateformes :

  • Les « pionniers » de BlaBlaCar dénoncent, par exemple, la perte de l’état d’esprit du covoiturage avec sa marchandisation.
  • Les journalistes du Huffington Post réclament le partage du chèque de rachat pour 300 millions de dollars par AOL.
  •  Et cette vision se noircit encore lorsque ces opérateurs désorganisent le travail des professionnels classiques ou ne payent pas d’impôt.

 

Pour comprendre ce vice structurel, il faut observer deux types d’utilisateurs.

  • D’une part, les pionniers, qui sont attachés au simple partage de frais, à l’existence d’une communauté basée sur de nouvelles règles et comportements...
  • De l’autre, les utilisateurs plus récents, ceux du marché de masse, qui en ont une approche très utilitaire, même si la relation directe entre particuliers maintient la nécessité d’une certaine civilité.

 

Les opérateurs des plateformes ont un intérêt financier objectif à démarrer avec les « pionniers », puis à repositionner leur offre pour atteindre la masse.

 

Lors de cette transition, on peut comprendre que les premiers déplorent la perte de l’état d’esprit originel. Pire, l’opérateur ne reconnaît pas leur engagement dans le démarrage de la plateforme. Pour eux, cette perte n'est pas compensée par le succès de masse, ni la plus grande rigueur des échanges.

 

On pourrait penser que les pionniers des plateformes avaient donné leur temps et leur créativité sous la forme du « don gracieux » du bénévolat.

 

Au contraire : ces mots sont l’expression d’un contrat implicite, que les ethnologues nomment « don/contre-don ». Le don se caractérise en effet par l’attente d’un « contre-don » en retour. Étonnamment, la vertu des pionniers n’est pas dans la générosité. Il s’agit davantage, pendant la phase pionnière, des vertus qui permettent de faire société : philanthropie, sympathie, justice, équité, hospitalité et humanité.

 

 

Ce contrat implicite, entre opérateurs et pionniers, ne survit pas au succès commercial des premiers, ce qui est dommageable pour les seconds. C’est le point de rupture actuel entre le moral et le légal. (Vincent Lorphelin, Xerfi)

 

2) D’un point de vue plus global

 L’économie collaborative parle de partage et de solidarité mais semble relever pour l’essentiel du « social business ».

 

Blablacar est d’une certaine manière la marchandisation de l’autostop dans un monde inquiet de prendre un inconnu dans sa voiture.

 

Enfant de la crise et du pouvoir d’achat en berne, on a une économie de la débrouille.

Pour des catégories aisées, un communisme aristocratique connu de longue date : il est plus high tech et connecté.

 

 

Cela ne remet pas en cause la sincérité de certains participants mais au regard des acteurs en présence, les sommes brassées par les investisseurs de plateforme et leur comportement d’optimisation fiscale ne laissent aucun doute sur la distance avec les principes de l’ESS.

 

 Il s’agit bien d’optimiser le rendement du capital par de nouveaux canaux. Et pour louer un appartement encore faut-il en posséder un… D’où des effets cumulatifs sur les inégalités de revenus et de patrimoine (moins si la fiscalité peut s’appliquer, cf. supra).

 

Cela pose la question des relations du travail et d’une société à dimension post-salariale. Quid de la protection sociale des nouveaux travailleurs des plateformes ? Flexibilité maximale supportée par le travailleur indépendant.

 

Cela a un parfum de retour au début du XIX° siècle et à sa grande précarité, où la valeur créée par la multitude serait captée par les intermédiaires de la plateforme.