3. L’essor de l’entrepreneuriat social : social business et RSE, entre quête de sens et marchandisation

La loi française de 2014 apporte une définition de l’ESS qui fait référence à des pratiques d’entreprises marchandes

La notion d’entreprise de l’ESS regroupe ainsi les acteurs historiques de l’économie sociale, à savoir les associations, les mutuelles, les coopératives et les fondations, mais aussi de nouvelles formes d’entrepreneuriat social : les sociétés commerciales qui poursuivent un objectif d’utilité sociale tel que défini dans la loi, et qui font le choix de s’appliquer à elles-mêmes les principes de l’ESS.

L’utilité sociale demande de remplir au au moins l’une des trois conditions suivantes :

  • avoir pour objectif d’apporter un soutien à des personnes en situation de fragilité
  • « contribuer à la lutte contre les exclusions et les inégalités sanitaires, sociales, économiques et culturelles, à l’éducation à la citoyenneté, […] à la préservation et au développement du lien social ou au maintien et au renforcement de la cohésion territoriale »
  • concourir au développement durable.

Outre les acteurs « historiques » de l’ESS (associations, mutuelles, coopératives et fondations), peuvent également être inclus dans le périmètre des sociétés commerciales, si celles-ci répondent aux critères énoncés ci-dessus.

C’est directement l’entrepreneuriat social
C’est aussi la notion de Responsabilité sociétale et environnementale (RSE).


A. Entrepreneuriat social et ESS


1) La notion d’entrepreneuriat social


a) Dans la vision anglo-saxonne

C’est aux États-Unis dans les années 1990 que l’entrepreneuriat social est apparu pour la première fois. Les pionniers dans sa conception et sa mise en œuvre étaient issus des milieux aisés de la société américaine tels que la Harvard Business School, les entreprises à but lucratif et les fondations. Leur but premier était de soutenir les acteurs qui étaient engagés au quotidien pour lutter contre une multitude de problèmes sociaux.
Au sens large, l’entrepreneuriat social désigne « des activités économiques marchandes mises au service d’un but social » .Il fait appel aux méthodes de l’économie classique du capital risque mais se concentre davantage sur le retour social sur investissement. Ainsi, tout en étant orientés vers la logique de marché, les profits qui se dégagent des recettes commerciales sont réalloués vers le développement de projets sociaux. Ce sont ces mécanismes de fonctionnement qui ont donné naissance au mouvement du « social business ».
Un entrepreneur social « est quelqu’un qui porte et développe un projet à caractère social selon une démarche entrepreneuriale raisonnée et pragmatique ».


b) Dans la vision européenne continentale

En Europe la conception de l’entrepreneuriat social revêt une dimension complètement différente. Les entreprises d’économie sociale sont inscrites dans la tradition de l’Économie sociale. L’activité économique de l’entreprise n’a pour seul objectif que de servir la mission sociale des projets, la logique de profit est ainsi mise en second plan.
« La dynamique n’évolue pas au coeur du marché mais davantage au carrefour du marché, de la société civile et des politiques publiques ». Ariane Dewandre
La définition donnée par la Commission européenne en 2011 est la suivante : « des entreprises […] pour lesquelles l’objectif social ou sociétal d’intérêt commun est la raison d’être de l’action commerciale, qui se traduit souvent par un haut niveau d’innovation sociale, dont les bénéfices sont principalement réinvestis dans la réalisation de cet objet social, et dont le mode d’organisation ou le système de propriété reflète la mission, s’appuyant sur des principes démocratiques ou participatifs, ou visant à la justice sociale».


c) Une différence majeure entre les deux approches

Dans l’approche européenne, l’économie sociale se positionne comme une troisième voie tout en défendant l’importance d’un État providence fort qui soit capable de fournir des services de qualité à tous les citoyens y compris les plus démunis. L’entreprise sociale est ici définie de manière « normative » par des statuts juridiques et des principes fondamentaux qui régissent ses modes de fonctionnement et sa dimension collective d’entreprendre.

Alors que dans la conception anglo-saxonne de l’entrepreneuriat social, c’est l’État qui agit comme subsidiaire du marché. Le modèle économique régi par la logique du marché n’est donc nullement remis en question. Dans ce cas, l’entreprise sociale est définie par des critères plus souples et moins exigeants que ceux de l’économie sociale. Elle englobe ainsi les initiatives privés-publics ayant un but social, les initiatives individuelles à but lucratif, qui réalisent des innovations sociales, ou encore les activités d’entreprises, désignées sous le terme de « responsabilité sociale des entreprises » (RSE).


Cette approche de l’entrepreneuriat social revient à donner « une touche sociale » aux activités commerciales lucratives sans pour autant remettre en cause le modèle. Dès lors, la logique qui prévaut au sein de ces entreprises sociales revient à « réparer de la main gauche les dégâts qu’elles produisent de la main droite ». Une des critiques avancées est que cette forme d’entrepreneuriat social ne se donne pas pour objectif de transformer au niveau structurel le fonctionnement du modèle économique actuel mais vise plutôt à « se donner bonne conscience ».

Dans ce contexte, la question que se posent de nombreux défenseurs de l’économie sociale, est comment une entreprise qui se donne une finalité sociale tout en maintenant un fonctionnement commerciale classique peut atteindre et garantir son objectif et sa qualité sociale.


2) Les relations entre ESS « classique » et entrepreneuriat social

Pour les défenseurs de l’approche anglo-saxonne, l’entrepreneuriat social de type social business doit adopter les outils et les modes de gestion du modèle économique capitaliste classique. A l’opposé de la vision européenne, où l’entreprise sociale doit nécessairement se doter d’instruments qui soient adaptés au but social premier qu’elle poursuit, ainsi qu’à son fonctionnement et son mode de gouvernance spécifique.
tique la démarche selon laquelle les bénéficiaires de ces activités doivent être inclus dans l’élaboration de réponses collectives n’est pas toujours respectée. Cela amène donc à porter un regard critique sur leur fonctionnement et leur comportement.


L’entrepreneuriat social apporte un souci de recherche d’efficacité dans l’action pour aller au-delà de l’amateurisme aussi sympathique soit-il.

  • Gains de productivité de manière à ne pas gaspiller des ressources rares : même le temps des bénévoles n’est pas illimité
  • Maîtrise des coûts : évaluer un prix de revient


Il n’est pas anormal que l’usage des subventions et des dons soit justifié.

Attention : la traduction du terme initial « social business » a donné « entrepreneuriat social ». Mais en anglais, « social » recouvre les enjeux aussi bien sociaux, qu'économiques et environnementaux. Son équivalent français est stricto sensu «Sociétal ».


Un exemple ayant acquis une certaine notoriété :


Designer industriel, passionné par les problématiques autour de la cuisine et de la nourriture, Guilhem Chéron lance La Ruche qui dit Oui!, en 2011, au sein de l'incubateur Advancia (aujourd'hui Novancia). Son idée: créer des lieux virtuels et réels - les fameuses "ruches" - pour faciliter la rencontre entre des consommateurs désireux d'accéder aux produits issus de l'agriculture raisonnée (fruits, légumes, épicerie, produits laitiers,boucherie...) et des petits producteurs locaux. Guilhem Chéron contribue ainsi à démocratiser ce type de consommation et à la faire changer d'échelle. 

Le réseau compte déjà 300 ruches actives en dix-huit mois, 140 000 souscripteurs, dont 35 000 clients réguliers sur tout le territoire national. Pour se financer, La Ruche qui dit Oui! a réalisé deux levées de fonds, à la fin de 2010 et de 2012 pour un total de 1,9 million d'euros. Guilhem Chéron a mis sur pied une organisation basée sur un catalogue et des achats en ligne que l'on vient récupérer à la Ruche de son quartier, une logistique rationalisée... Les petits producteurs reçoivent 80% du prix de la vente, contre 40% en moyenne dans la grande distribution. Des ouvertures de Ruches sont en développement en Italie, en Espagne et en Belgique.


source : l'express.fr