B. La fiscalité à partir de la révolution française jusqu’au début du XX° siècle

La Révolution française érige les principes de l'égalité devant l'impôt et du consentement à l'impôt en impératifs politiques. L'une des premières décisions des révolutionnaires est de supprimer les taxes existantes et de refonder le système d'impôts sur de nouvelles bases. Tous les impôts indirects sont abrogés en 1791. L'ambition des constituants est de créer un système clair, rationnel et universel. Dans la lignée des théories physiocratiques, ils souhaitent faire de la terre la principale source des recettes publiques. Le système nouveau, établi dans ses principes par la Révolution (Assemblée constituante et Directoire) et confirmé par Napoléon, est resté en vigueur sans changement notable jusqu'aux réformes de 1913 et de 1917.

 

1) Les contributions directes

Quatre nouvelles taxes directes sont progressivement créées entre 1791 et 1798 : Au terme « impôt », qui renvoie à l'arbitraire du pouvoir, est préféré celui de « contribution », pour insister sur la dimension volontaire et civique du geste fiscal.

Ce sont « les quatre vieilles» (contributions) :

  • la contribution foncière sur la valeur, établie une fois pour toutes, des terres et non pas du revenu qu’elles procurent
  • la contribution personnelle mobilière, payée par toute personne disposant d’un logement meublé
  • la patente, payée par toute personne désireuse d'exercer un commerce ou une industrie avec un droit fixe et un droit proportionnel à la valeur locative des locaux utilisés
  • l'impôt sur les portes et fenêtres, payé par les propriétaires et fixé proportionnellement au nombre et à la qualité des ouvertures des immeubles qu'ils possèdent.

 

Ces impôts directs ont été conçus de manière à « affranchir le contribuable de toute espèce de discussion avec le fisc ». Les « quatre vieilles » contributions directes partagent plusieurs traits communs qui fondent la spécificité du système fiscal français jusqu'au début du XXe siècle :

 

  • toutes sont des taxes dites « réelles », frappant des choses et des objets plutôt que des individus. Le souvenir de la taille explique pourquoi la réalité de l'impôt est l'une des clés de voûte de la justice fiscale au XIXe siècle ;
  • ces contributions sont dites indiciaires, calculées à partir d'indices ou de signes extérieurs de richesse, sans prise en compte des particularités individuelles. Ainsi, l'administration n'a pas à connaître les revenus des contribuables, mais doit les taxer en se fondant exclusivement sur leurs manifestations visibles (terre, habitation, loyer) ;
  • toutes, à l'exception de la patente, sont des impôts dits de répartition, qui présentent de ce fait une très grande stabilité : chaque année, le Parlement décide quel sera le montant de l'impôt, ensuite réparti entre les départements, les arrondissements et au sein des communes par des commissions de « répartiteurs ». Les recettes fiscales ne dépendent pas de l'évolution de l'activité économique, mais d'un choix politique, fixé par le Parlement. De ce fait, les ressources fournies par les contributions directes restent stables tout au long du XIXe siècle : ce système de répartition permet aux élites de modérer les prétentions fiscales de l'État, reportées sur les contributions indirectes et les droits d'enregistrement
  • elles sont strictement proportionnelles au revenu : leur taux est le même quels que soient les revenus ou les personnes frappés. La progressivité, défendue par certains conventionnels ou par les républicains au XIXe siècle, est rigoureusement exclue du système de prélèvement. Les défenseurs de cette stricte proportionnalité s'appuient sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui énonce en son article 13 que tous les citoyens doivent contribuer « en raison de leurs facultés ».

 

2) Les taxes indirectes (redevables / contribuables)

Malgré les promesses, les impôts indirects n'ont cessé de se développer de la Révolution à la Restauration qui en a consacré le recours. Ils frappent :

  • les produits superflus, mais néanmoins très usités : le tabac, les cartes à jouer
  • les denrées de première nécessité : pain, sel, viande, boissons

Ces taxes indirectes représentaient en 1830 45 % des recettes de l'État et des collectivités locales ; en 1913 respectivement 55% et 61 %.

Selon le mot de A. Thiers, « c'est la corne d'abondance ».

 

À ces impôts proprement indirects s'ajoutent d'autres taxes qui atteignent aussi la consommation: les douanes, l'enregistrement, le timbre.

 

Le cas de la France illustre la situation assez particulière d'une grande puissance de forte importance agricole, mais moins industrialisée que d'autres. La charge des impôts indirects, qui atteint tout le monde indifféremment, y est plus élevée qu'ailleurs. L'impôt foncier de répartition, en revanche, n'était plus guère pratiqué à la fin du XIX° siècle que par des pays d'agriculture archaïque comme la Russie, l'Espagne, l'Empire ottoman. La France d'alors appartient à ce club là : son agriculture n'a pas été modernisée et, au contraire, elle est isolée des évolutions à l’œuvre chez ses voisins du fait des lois protectionnistes instaurées en 1892 (Tarifs Méline, du nom du président du Conseil de l'époque) : cela retarde la modernisation de cette activité.

 

Notons qu’en 1911, les droits de douane représentent une contribution importante aux recettes publiques : 12% (avec 13% au Royaume-Uni, 34% aux États-Unis et 42% en Allemagne).