2) Économiquement, l’UE est mal armée pour coordonner la politique économique

Les processus d’intégration et les critères dits de convergence ont focalisé l’attention sur le rapprochement des conditions économiques et des conjonctures. On a surtout regardé les questions de réaction de l’ensemble face à un choc affectant tous les participants (« choc symétrique »)

Déjà, les conditions de réponse étaient difficiles avec une politique structurelle malgré tout réduite du fait de la faiblesse du budget communautaire par rapport au PIB de l’Union et une politique conjoncturelle désarticulée (1 politique monétaire unique et autant de politique budgétaires que d’Etats membres, et peu coordonnées entre elles malgré la création de l’Eurogroupe)

 

Or, si l’intégration a produit de la convergence, elle a aussi généré des phénomènes de spécialisation et de différenciation : les économies sont vulnérables en cas de « chocs asymétriques », c’est-à-dire de problèmes touchant les uns et pas nécessairement les autres dans la même proportion.

La mauvaise gouvernance de l’Europe et le peu de coordination des politiques économiques vont être révélées au grand jour lors de la crise du supbrime et de ses conséquences.

 

Ainsi :

  • Un choc symétrique concerne tous les pays de la zone. La réponse peut donc être commune, en utilisant l'instrument monétaire ou budgétaire.
  • En cas de choc asymétrique, qui ne concerne qu'un pays, seul l'instrument budgétaire national peut être utilisé puisque la politique monétaire est unifiée en référence à une moyenne européenne. Le problème est qu’il n’existe pas d emécanisme pour gérer cette situation pourtant bien repérée depuis des années.

B. La zone euro n’est pas une zone monétaire optimale

1) Position du problème

Les avantages liés à l'existence d'une union économique et monétaire n'existent que si celle-ci forme une zone monétaire optimale.

Une zone monétaire est constituée par un pays ou un ensemble de pays utilisant soit plusieurs monnaies mais entre lesquelles existent des liens de fixité de change forts soit une monnaie unique (forme la plus aboutie de zone monétaire).

 

Face à un choc asymétrique, l'absence de possibilité de régulation par la variation du taux de change, caractéristique principale de l'UEM (celle-ci peut être fondée sur une monnaie unique ou sur une fixité irrévocable des taux de change), oblige le gouvernement d'un pays touché par le choc asymétrique à reporter les moyens de régulation sur la flexibilité salariale ou la réduction de la protection sociale (dumping social).

La TVA dite sociale en Allemagne relève également de cette logique en transférant des cotisations sociales sur la rémunération du travail sur la TVA acquittée par les consommateurs allemands (stratégie non coopérative équivalente à une dévaluation, discrimination des partenaires).

 

A partir du moment où plusieurs pays constituent une zone monétaire avec une monnaie, il n’y a plus qu’une seule banque centrale. Donc, si un des pays membres de la zone subit un choc exogène, il n’a plus la possibilité, pour agir sur sa conjoncture, d’utiliser individuellement la politique monétaire.

Participer à une zone monétaire revient à renoncer à utiliser l’arme du taux de change :

  • soit parce que les règles de la zone en limitent l’usage (cas du SME : parités ajustables mais avec accord des autres membres)
  • soit parce qu’elle les interdit strictement (zone euro : 01/01/1999 : parités irrévocables)
  • soit parce que c’est impossible dans la mesure où il n’y a plus qu’une seule monnaie :
  • C’est le cas des Etats-Unis
  • C’est le cas de la zone euro depuis que les monnaies nationales ont disparu. C’est sur ce dernier cas de figure que l’on va raisonner dans ce qui suit.

 

2) Deux grandes réponses


a) On peut se passer sans problème de la dévaluation si, en tant que mode d’ajustement macroéconomique, elle est remplaçable par la mobilité des facteurs de production (R. Mundell, 1961)

Si la mobilité des travailleurs est forte entre les pays A et B, cette mobilité peut servir de substitut à une dévaluation, donc le choix en faveur de l’unification monétaire est optimal.

 

Le choc subit par un pays B se traduit par une crise de demande globale, du chômage, un fort déficit courant. Les chômeurs partent chercher du travail dans le pays A car, par hypothèse, il est épargné ou moins touché par le choc asymétrique. Le départ des travailleurs réduit l’offre globale en B, excédentaire, ce qui résorbe la crise de demande. Leur départ représente également une réduction du nombre des consommateurs donc des importations, ce qui contribue à résorber le déficit courant de B

En d’autres termes, une dévaluation, de manière générale, est une politique d’exportation du chômage (on achète moins et on vend plus aux partenaires donc on réduit le chômage dans le pays et on l’aggrave à l’étranger). Ici, la mobilité des travailleurs de B, pour parler crûment, représente une « exportation » des chômeurs eux-mêmes (en partant travailler à l’étranger [mobilité du facteur travail], ils contribuent à résorber la crise).

 

Ce transfert de population active résorbant des déséquilibres rappelle une analyse ancienne : celle d’Adam Smith dans la Richesse des nations (1776).

On observe effectivement des cas où la mobilité du travail est forte et permet de réaliser des ajustements :

  • Les États-Unis sont un premier exemple : les habitudes fortes de mobilité géographique d’un État à un autre font que des situations locales difficiles sont surmontées par des migrations interétatiques.
  • L’Allemagne fédérale : la réunification de 1991 a créé une zone monétaire (unification monétaire de la RFA et de l’ex-RDA, sur la base de 1 mark de l’Ouest = 1 mark de l’Est).

La réunification a constitué un choc asymétrique pour l’ex-RDA (choc de productivité : les activités de l’Est se sont trouvés brutalement soumises à la concurrence de celles de l’Ouest, beaucoup plus productives => faillite, pertes d’emplois).

A défaut de pouvoir dévaluer, les länder de l’Est ont amorti ce choc par des mouvements de population. Par exemple dans le Mecklenbourg-Poméranie, le land le plus pauvre, 100.000 habitants ont déménagé vers l’Ouest en 1992, soit 5 % de la population. De plus, 60 000 autres travaillaient dans la journée à Hambourg, Berlin ou Lübeck et revenaient le soir chez eux. Au total, dans cette région fragile où le taux de chômage était de 17 %, la mobilité du travail a permis un fonctionnement optimal de la zone monétaire nouvellement créée.

 

Cependant, il faut noter que la mobilité du facteur travail a des coûts humains et qu’elle est souvent limitée (éloignement géographique, culturel, linguistique, solidarités sociales…). L’Union européenne n’est pas une zone monétaire optimale au sens de Mundell car la mobilité du facteur travail est globalement très faible entre pays membres, et faible à l’intérieur des pays membres. L’UE est très différente des États-Unis.

 

  b) On peut renoncer à la dévaluation sans problème si on a réussi à la rendre inutile et s’il y a intégration fiscale (Johnson, 1970)

  Le pays qui subit un choc de demande (perte des débouchés extérieurs) et qui a renoncé à la dévaluation étant donné qu’il participe à une zone monétaire, doit pouvoir au moins utiliser sa politique budgétaire pour procurer aux entreprises du pays des débouchés intérieurs supplémentaires compensant la perte des débouchés extérieurs.

Or, le problème, c’est que, par hypothèse, le pays est un pays fragile. Donc, ses recettes fiscales propres ne sont pas à la hauteur d’une telle dépense. Une telle politique de soutien budgétaire à l’activité de la demande, menée par le pays laissé seul face à ses problèmes, déboucherait vite sur un déficit budgétaire élevé et une dette publique insoutenable D’où la justification des critères de convergence budgétaire prévus par le traité de Maastricht, renforcés par le pacte de stabilité budgétaire.

La solution réside donc dans l’aide fiscale apportée par les autres pays de la zone monétaire. On entre ici dans une logique de solidarité, de stratégie coopérative entre les pays membres. Ce qui revient à dire que pour que la zone monétaire soit optimale, il faut qu’une partie non négligeable des recettes fiscales soit mise en commun, que les pays membres de la zone monétaire soient interdépendants du point de vue budgétaire (« intégration fiscale »).

 

On peut envisager deux grandes modalités de cette intégration fiscale :

  • Une forme « minimale », ponctuelle de cette modalité. Il s’agit d’une solidarité, « au coup par coup », relativement facultative, sans institution particulière qui l’organise et qui l’impose aux pays membres. Le problème, c’est que, selon ce qu’enseigne la théorie des jeux, il est très probable que, en l’absence de structure contraignante, la coopération fonctionnera mal ou pas du tout : chaque pays, n’étant pas sûr d’obtenir l’aide des autres, n’accorde pas la sienne.
  • Il est donc souhaitable que la solidarité fiscale soit permanente : Elle l’est s’il existe un budget commun, propre à la zone monétaire, distinct des différents budgets nationaux des pays qui la composent. Ce qui suppose la réalisation de deux conditions subséquentes :
  • Le budget commun doit être assez important, à la hauteur des besoins
  • Il doit être géré par une autorité qui dispose de compétences suffisantes (lever des ressources communes et décider des dépenses).

 

 

Un tel système fonctionne très bien lorsque la zone monétaire correspond à un État unitaire (type la France) ou à un État fédéral (type les États-Unis, la République Fédérale d’Allemagne, …)

C’est ce qui se passe couramment lorsque, en cas de choc frappant un des États de l’Union (choc asymétrique), les ressources de l’État central ou de l’État fédéral viennent s’ajouter aux ressources des collectivités locales (au sens large) pour faire face aux dépenses à engager.

Un premier exemple peut être donné avec la tempête de décembre 1999 qui, en France, a plus frappé certaines régions que d’autres. Idem pour les inondations de 2002 dans le Sud-Est. Les aides de l’Etat, financées par des impôts prélevés sur l’ensemble du territoire, sont venues compléter les dépenses publiques des collectivités locales touchées (solidarité, intégration).

De la même manière, aux États-Unis, lors de catastrophes naturelles frappant un ou quelques États particuliers (choc asymétrique), les aides apportées par le budget fédéral complètent les dépenses des États (tremblement de terre de Californie en 1992, ouragans dévastant la côte Est, la Louisiane, …).

Un autre exemple est donné par l’Allemagne, lors de la réunification (1991, 1992) : la réunification constitue un choc asymétrique pour les länder de l’Est, mal préparés à faire face à la forte compétitivité des entreprises de l’Ouest. Les aides fédérales massives qui leur ont été apportées leur permettent de supporter le choc et d’accompagner les restructurations nécessaires. Le coût est énorme et les ressources fédérales normales n’ont pas suffi : l’Etat fédéral allemand a dû emprunter (=> tension des taux d’intérêt qui, à son tour, a représenté un choc exogène pour les autres pays du SME ), par contre, au niveau européen, aucune solidarité budgétaire n’a joué.

 

 

L’intégration fiscale est beaucoup plus limitée lorsque la zone monétaire est constituée de plusieurs pays qui restent politiquement et donc budgétairement indépendants

 

1/ Les arguments

L’autorité budgétaire : dans une simple zone, il n’y a pas d’ autorité au pouvoir fort comme l’exécutif central d’un État unitaire (type France) ou fédéral (type Etats-Unis ou Allemagne).

La taille du budget : Il peut ne pas y avoir de budget commun ou ce budget commun peut être volontairement limité à une dimension très réduite, de manière à garder un rôle très subsidiaire aux institutions budgétaires de la zone par rapport à celles des pays.

 

2/ Appréciation : de ce point de vue, la zone euro n’est pas du tout une zone monétaire optimale

Le budget représente 1% du PIB de l’Union (129 milliard d’euros en 2012, soit moins que le budget de la Belgique ou de la Suisse !), ce qui en fait un outil marginal de solidarité fiscale, d’autant plus que 40 % de ce budget est accaparé par le fonctionnement de la PAC. (À titre de comparaison : budget de l’État /PIB, en France : 20 %).

Le Pacte de stabilité induit des politiques fiscales pro-cycliques au niveau des États (incitation à réduire les déficits en cas de crise, sanctions en cas de dépassement des normes).

 

Par comparaison, aux États-Unis, la baisse du revenu d’un État est compensée à hauteur de 10 à 40% par une baisse des impôts fédéraux et une augmentation des transferts en provenance du budget fédéral) : la politique fiscale est contra-cyclique.

 

 

La crise actuelle est avant tout le révélateur que la construction européenne est inachevée. Lors du passage à l’euro, tout cela était su. Mais la croyance était que l’on pouvait se passer d’aborder ces questions ou du moins les remettre à plus tard car les dirigeants pensaient que l’intégration ferait plutôt converger les économies les rendant essentiellement exposés à des chocs symétriques moins complexes à gérer que les chocs asymétriques…

Au contraire, l’intégration accrue à créer une spécialisation accrue des espaces rendant l’Union plus exposée aux chocs asymétriques pour lesquels les mécanismes et les institutions ne sont pas en place.

 

L’affaire grecque est moins un problème financier que le révélateur d’un problème politique plus profond : il faut achever la construction institutionnelle en se dotant d’institutions supranationales et de mécanismes de coordination.

Certainement moins à la Mundell par la mobilité du facteur travail qu’à la Johnson par la politique budgétaire et la fiscalité

 

Mais cela ne pourra se faire sans démocratie et contre les peuples.