2) Les réalisations en matière de stabilité du change au sein de la CEE

a) Les années 1960 : progresser dans la voie de l’unification monétaire

1/ Une plus grande fixité du change : la réduction de la marge de fluctuation

La situation au niveau mondial (rappel) : les accords de Bretton Woods, auxquels adhèrent les six pays membres de la CEE, prévoient une marge de fluctuation du taux de change du marché de 1 % de part et d’autre du taux officiel.

Les pays européens s’efforcent d’avoir entre leurs monnaies une fixité du change encore plus forte : ils commencent par s’imposer entre eux une marge plus réduite de ± 0, 75 % ; en mars 1971, ils adoptent une marge encore plus réduite de ± 0, 60 %.

2/ La création, en 1969, d’une unité de compte européenne : l’ECU (« European Currency Unit »).

C’est une monnaie commune (elle s’ajoute aux monnaies nationales, elle ne s’y substitue pas, à la différence d’une monnaie unique, qui, elle, remplace les différentes monnaies nationales, comme le fera plus tard l’euro).

C’est une monnaie composite : sa valeur est calculée en faisant la moyenne des différentes monnaies nationales des États avec pondération en fonction de l’importance économique de chaque pays (dans le calcul de l’ECU, le franc luxembourgeois, par exemple, pèse beaucoup moins que le deutschemark)

C’est une monnaie incomplète : elle ne remplit que partiellement les trois fonctions d’une monnaie (typologie d’Aristote) :

  • Instrument de mesure (unité de compte) : c’est sa fonction principale. C’est, par exemple, en écus que sont libellés les prix agricoles européens.
  • Instrument de règlement des échanges : l’écu ne sert qu’entre banques centrales des pays membres
  • Instrument de réserve de valeur : ici encore, l’utilisation de l’écu est réservée aux banques centrales, conséquence de la deuxième fonction.

Pour ses créateurs, la création de l’ECU n’est qu’une simple étape dans l’unification monétaire.

 

b) Le début des années 1970 : limiter les dégâts de la crise monétaire mondiale

1/ 1ère phase : avril 1972, l’accord de Bâle (Le serpent monétaire européen)

Au plan mondial, la crise monétaire internationale de 1971 débouche, en décembre 1971, sur l’accord de Washington qui modifie les accords de Bretton Woods : la marge de fluctuation autorisée pour le taux du marché passe de ± 1 % à ± 2,25 % (Cette décision, réaliste dans ce contexte de crise, représente tout de même une régression en matière de stabilité des changes, défavorable aux échanges internationaux)

Ce nouveau contexte mondial d’instabilité monétaire provoque une instabilité monétaire entre monnaies européennes : la spéculation contre le dollar se traduit par un report sur le deutschemark ou le florin néerlandais, qui, par conséquent, s’apprécient fortement par rapport aux autres monnaies européennes. La nouvelle marge (±0, 60 %) est impossible à respecter.

 

Face à ces problèmes, les Européens essaient de limiter les dégâts : comme dans le passé, ils essaient de faire mieux, entre eux, que ce qui se fait au plan mondial. Ils adoptent entre eux une nouvelle bande de fluctuation plus large mais qui n’est, cependant, que la moitié de celle tolérée au plan mondial par les accords de Washington (± 1,125 %). C’est un moindre mal.

Cela se traduit dans ce que l’on appelle le « serpent » monétaire européen. Ce nom vient du fait que graphiquement, l’évolution du taux de change d’une monnaie (d’un pays membre de l’accord de Bâle), au fil du temps, rappelle les ondulations du corps d’un serpent :

  •  Son taux de change officiel, exprimé en écus, fluctue en fonction de l’évolution des autres monnaies (des pays membres de l’accord) sur le marché des changes (revoir ci-dessus : écu = monnaie composite). C’est la colonne vertébrale du serpent.
  • La marge de fluctuation, équidistante du taux officiel à ± 1,125 %, fluctue avec le taux officiel : le taux plancher et le taux plafond constituent le ventre et le dos du serpent.
  • Son taux de change sur le marché fluctue à l’intérieur de cette bande de fluctuation.

Remarque : durant cette première phase, cette marge de fluctuation étroite de ± 1,125 % s’intègre donc dans la marge, plus large, des accords de Washington (± 2,25 %). « Le serpent est dans le tunnel ».

 

2/ 2e phase : à partir de mars 1973, dans le nouveau contexte mondial de flottement, fixité maintenue dans la CEE)

Rappel : au plan mondial, la spéculation contre le dollar ne cesse pas. En mars 1973, les pays occidentaux (dont les pays de la CEE) décident de laisser flotter leurs monnaies à la hausse par rapport au dollar, au-delà de la marge autorisée, ce qui revient à dire que le dollar flotte à la baisse. Le « serpent est hors du tunnel ».

 

Au plan mondial, on entre donc de facto dans un régime de change flexibles (officialisation : accords de la Jamaïque 1976). Cependant, les Européens, entre eux, essaient de continuer à maintenir un régime de changes fixes : ils continuent à appliquer entre eux l’accord de Bâle.

 

3) Bilan : la difficile poursuite de l’unification monétaire dans un contexte de forte instabilité monétaire internationale

L’accord de Bâle, 1972 avait institué des changes fixes entre les pays membres. La coopération avait été renforcée avec la création du FECOM (Fonds Européen de Coopération Monétaire) en avril 1973.

Un mois après l’abandon des changes fixes au niveau mondial est instituée une coopération bilatérale entre pays membres de l’accord : une Banque Centrale d’un pays dont la monnaie se déprécie par rapport à une autre monnaie peut compter sur des prêts de la Banque Centrale qui l’émet afin de soutenir sa propre monnaie sur le marché des changes et ainsi respecter la marge de fluctuation. Le FECOM coordonne cette coopération bilatérale (stratégie coopérative avec institution).

a) Apparemment, le bilan du serpent européen est médiocre

La plupart des pays européens n’ont pas réussi à maintenir leur monnaie à l’intérieur de la marge de fluctuation constituée par le serpent monétaire : les pays de la CEE n’ont pas réussi à conserver entre eux la stabilité des taux de change qu’ils voulaient s’imposer pour favoriser le développement de leurs échanges.

Avant même le premier choc pétrolier, le serpent est fragilisé par la sortie de deux monnaies : la livre sterling et la lire italienne

L’entrée en situation de crise ouverte (1973) ne fait qu’aggraver la faiblesse du mécanisme : le franc quitte le serpent en janvier 1974 puis en mars 1976.

À la fin de la décennie, le serpent ne regroupe plus que quatre des neuf monnaies européennes : (DM + les monnaies qui s’accrochent à lui : franc belge, franc luxembourgeois, florin néerlandais).

b) Malgré tout, on considère que l’expérience mérite d’être poursuivie, en l’améliorant : c’est l’origine du Système Monétaire Européen (1979), qui donnera naissance à l’euro vingt ans plus tard (1999)

1/ Le serpent monétaire, malgré ses échecs, a tout de même un rôle positif

Même non respecté, il sert de référence : globalement, les gouvernements, même en le quittant, ont en projet de le réintégrer à plus ou moins long terme.

Son non-fonctionnement confirme a contrario ce que l’on savait déjà : une zone commerciale intégrée a besoin de la stabilité monétaire pour permettre le développement des échanges intra-zone. Les échanges intra-zone (entre pays membres) sont ceux qui tendent à se développer le plus à cause de la proximité géographique et de la proximité culturelle et économique des pays qui la constituent. Or le non-respect d’un minimum de fixité des changes entre les monnaies de ces pays est déstabilisant et contreproductif pour les économies de l’espace considéré.

2/ De ce constat naît le Système monétaire européen (SME)

Les gouvernements sont convaincus que le mécanisme doit être non seulement maintenu mais amélioré.

Ils profitent de l’accalmie monétaire de 1978/1979 pour prendre les mesures nécessaires. Le serpent est institutionnalisé et amélioré sous le nom de système monétaire européen (1979).