d/ Remarques sur la nature des critères

Ce sont des critères qui ignorent la convergence dans son aspect réel : croissance et emploi en sont les parents pauvres. Deux arguments sont avancés : pour les uns, la croissance et l’emploi ne sont pas l’objet du processus d’unification monétaire. Pour les autres, il n’y a pas à s’en préoccuper directement : ceux ci découleront indirectement de l’assainissement des économies imposé par la convergence : on reconnaît-là l’influence des idées néoclassiques.

La convergence se fait selon des stratégies très faiblement coopératives : le traité prévoit bien quelques mécanismes de coopération, d’entraide entre pays, notamment par la création, à côté des fonds communautaires déjà créés, d’un fonds de cohésion… mais, l’action de ce fonds est de portée limitée. Pour l’essentiel, c’est à chaque pays de prendre les mesures rigoureuses d’ajustement interne qui s’imposent pour converger vers les pays les plus performants, quitte à ce qu’elles jouent défavorablement sur l’activité et sur l’emploi à court terme (politiques d'austérité => récession), à long terme (le processus de convergence dure plusieurs années). Croissance et emploi en pâtissent.

 

2/ Remarques sur le processus et ses adaptations

a/ Les dispositions initiales du traité

Le passage à la monnaie unique repose sur le gradualisme : cela a l’avantage du réalisme et de la pédagogie dans chaque pays par rapport aux nouvelles exigences de la future union (cf. le rapport Werner et le projet de réalisation d’une monnaie unique en 1969, sommet de La Haye).

Le calendrier est contraignant : il comporte des étapes à valider avec des date butoirs à respecter. C’est le résultat d’un compromis entre l’Allemagne et la France, en 1991, au moment des négociations.

  • Les Allemands ont des préoccupations économiques

Ils ont peur de s’associer, dans l’expérience de la monnaie unique, avec des pays coutumiers de l’inflation, des déficits et des dévaluations (France, Italie, …). Ils redoutent de faire un marché de dupes en abandonnant le deutschemark (ne jamais oublier le traumatisme monétaire de l’hyperinflation de 1923 et du sortir de la 2°GM pour les Allemands)

C’est pourquoi les Allemands exigent que le traité comporte un processus contraignant de convergence vers la stabilité et l’équilibre, un statut de la future Banque Centrale européenne (BCE) calqué sur le modèle de la Bundesbank : indépendance du pouvoir politique, mission : un objectif unique, la stabilité des prix, interdiction de financer les déficits budgétaires par la création monétaire.

  • Les Français ont des préoccupations géopolitiques

Ils ont peur que l’Allemagne, qui vient de se réunifier, ne soit tentée par une aventure en solitaire : devenir la grande puissance de l’Europe Centrale, déployant son influence sur les anciens satellites de l’ex-URSS. (politique de Bismark à la fin du XIXe siècle). Dans ce cas, elle risquerait fort d’abandonner le processus d’unification monétaire en cours de route.

C’est pourquoi les Français exigent que le traité comporte un calendrier contraignant : aux différentes étapes sont associées des dates-butoirs.

 

b/ Les adaptations en cours de processus en matière budgétaire dans le sens d’un renforcement des contraintes

 

En ce qui concerne le budget de l’union (« budget communautaire »)

Chaque année, le Parlement européen (Strasbourg) vote le budget de l’Union.

La conception adoptée est une conception minimaliste (rôle réduit du Parlement et de son budget) : le Parlement ne peut lever directement des impôts (il n’y a pas d’impôts « européens »), le budget est plafonné à 1,27 % du PIB de l’Union, ce qui limite son poids économique (A titre de comparaison : France, autour de 20 % du PIB) et il ne peut être en déficit.

 

En ce qui concerne les budgets nationaux : le pacte de stabilité budgétaire (1996)

En 1996, les futurs pays membres de l’Union monétaire décident de renforcer les critères de discipline budgétaire déjà établis par le traité (c’est-à-dire la limitation du déficit budgétaire national à 3 % du PIB). Pour cela, ils passent entre eux un accord (« pacte ») : en cas de déficit excessif, le pays concerné reçoit un avertissement, un rappel à l’ordre puis peut être sanctionné (dépôt obligatoire non rémunéré auprès de la Banque Centrale Européenne irrécupérable si rien n’a été redressé dans les trois ans = amende).

Dénoncé par les uns comme inadapté en accentuant la médiocrité de la croissance européenne, ses promoteurs y voient l’occasion de rassurer les opérateurs sur les marchés financiers : l’adoption de règles « liant les mains » devrait donner plus de crédibilité à la construction européenne.

De 1996 à 2000 le pacte ne semble pas poser problème : la croissance est là. En 1997, le gouvernement Jospin obtient que le pacte intègre un volet concernant la croissance et l’emploi : il devient « Pacte de stabilité et de croissance ».

Avec le retour de la récession à partir de 2001, le pacte de stabilité est à nouveau critiqué en limitant fortement la possibilité de mener une action contracyclique. Il fait dire que l’Union, à défaut d’une politique budgétaire, s’est dotée d’une police budgétaire. Cette remarque reviendra dans les années suivantes.

 

c) Les premiers résultats (fin années 1990 – début années 2000)

1/ Le processus monétaire est un succès indéniable

a/ Le lancement de l’euro (1er janvier 1999)

En mai 1998, la liste des onze pays constituant l’union monétaire, la nouvelle « zone euro », est publiée : sur les 15 pays membres de l’Union, un pays n’est pas prêt (la Grèce, elle intégrera la zone euro par la suite, pas nécessairement mieux préparée) d’où, une zone monétaire à 12 membres, puis à 13 en 2007, Slovénie ; 15 en 2008 avec Chypre et Malte ; 16 en 2009 avec la Slovaquie et 17 en 2011 avec l'Estonie ) ; trois pays ont satisfait aux critères mais ne veulent pas intégrer la zone (la G-B, le Danemark et la Suède. La convergence a été remarquable.

Le 31 décembre 1998, la valeur officielle de l’euro est adoptée : pour le franc, il est de 1€= 6, 55957 FF.

Le 1er janvier 1999, l’euro est officiellement né : les parités entre les 11 monnaies sont désormais irrévocables. la banque centrale européenne devient la banque centrale unique de la zone, les différentes banques centrales nationales en étant les « relais » dans les différents pays.

b/ La mise en place pratique de l’euro (1er janvier 1999 – 30 juin 2002)

La mise en place effective de l’euro a été étalée sur une période de transition de trois ans et demi.

  • Dans un premier temps, l’euro coexiste avec les onze monnaies nationales (1999, 2000 et 2001). Dans chaque pays, deux monnaies ont cours légal : l’euro et la monnaie nationale. L’euro n’est utilisé que pour les opérations interbancaires en monnaie scripturale. Les autorités monétaires préparent la population à l’utilisation effective de l’euro.
  • Dans un second temps, le 1er janvier 2002, c’est le lancement de l’utilisation de billets et de pièces en euro et le retrait progressif des billets et pièces en monnaies nationales (->30/06/02).

L’opération, compte tenu de sa lourdeur et de sa complexité, a été considérée, de manière quasi unanime, comme une réussite historique.