b) Objectif complémentaire : obtenir un fonctionnement satisfaisant des marchés agricoles

1/ Constat : dans la plupart des pays, à cette époque, il y a intervention publique sur les marchés agricoles

C’est le cas, par exemple,

  • aux États-Unis (revoir le système mis en place par Roosevelt dans le cadre du New Deal [212.4])
  • en France (création de l’Office du blé en 1936)
  • au Japon (riz payé très cher à des agriculteurs relativement peu productifs)

2/ Cette intervention s’explique par la conjonction d’éléments défavorables aux agriculteurs en matière de prix


a/ Sur le long terme jusqu’à présent, il y a tendance à la baisse des prix agricoles (donc des revenus des agriculteurs)

L’offre augmente (progrès technique, depuis la Révolution agricole de la fin du XVIIIe siècle).

La demande ne suit pas au même rythme :

  • loi d’Engel [avec l’amélioration du niveau de vie, la part (et non le montant !) des dépenses alimentaires dans le budget des ménages baisse]
  • substitution de produits nouveaux aux produits agricoles (exemple : le cuir détrôné par les matières plastiques, la laine par les fibres synthétiques, …)

Il y a donc tendance à la baisse des prix agricoles ; celle-ci développe un ciseau de prix défavorable, préjudiciable au niveau de vie des agriculteurs et même à la pérennité de leur activité (les moins productifs sont obligés d’abandonner leur activité : exode agricole [ils abandonnent l’agriculture] => exode rural [ils quittent la campagne]) .

 

b/ Sur le moyen terme (quelques années), il y a un risque d’instabilité des prix agricoles en raison des délais de production donc d’ajustement des quantités aux variations des prix (équilibre instable)

La prise en compte du temps (analyse dynamique) est essentielle, notamment dans des productions où le cycle de production est assez long (ex : élevage, culture d’arbres fruitiers, …..)

 

  • Le problème, c’est qu’il existe un décalage entre le moment où la décision de produire est prise, sur la base du prix constaté à ce moment-là, et le moment où les marchandises arrivent sur le marché, où le prix se fixe alors très souvent à un niveau différent => irrégularité des cours (fluctuations)
  • Cette irrégularité des cours provoque une instabilité insupportable des revenus des agriculteurs, surtout pour les plus fragiles, qui peuvent être obligés, même pour des difficultés transitoires, d’abandonner définitivement leur activité.

L’analyse économique de ces marchés montre que l’équilibre, dans le temps, n’est pas atteint instantanément : la situation du marché oscille autour de l’équilibre, soit en s’en rapprochant progressivement (oscillation convergente ou amortie), soit, au contraire, en s’en éloignant de plus en plus (oscillation divergente ou amplifiée, situation dite « explosive).

 

Au total, les raisons sont multiples pour que les prix agricoles, donc, les revenus des agriculteurs, encore nombreux à cette époque, soient instables. Voilà pourquoi, compte tenu des enjeux sociaux, économiques et donc politiques que représente la situation de l’agriculture, les États ont déjà pris des mesures d’intervention au niveau national.

Au début des années 1960, la constitution d’un grand marché agricole oblige les pays de la CEE à fédérer les différentes mesures nationales au sein d’une politique agricole commune.

De ce point de vue, cela amène la CEE au-delà des exigences initiales pour la constitution d’un marché commun.

 

2) Le dispositif de la PAC (1962) : un mécanisme hybride (à la fois "libéral" et interventionniste)

a) L’aspect "libéral" : libre-échange des produits agricoles entre pays membres

Au départ (années 1950, début des années 1960), le protectionnisme agricole est important, issu d’une longue tradition :

  • Le mercantilisme issu des XVII et XVII° siècles
  • Le retour au protectionnisme lors de la grande dépression de la fin du XIXe siècle : Allemagne, France (tarifs Méline, adoptés en 1892)
  • Le renforcement du protectionnisme dans l’entre-deux-guerres

Il s’agit de démanteler progressivement ces dispositifs protectionnistes : la CEE ne doit plus former qu’un marché unique.

 

b) l’aspect interventionniste

L’institution essentielle est le FEOGA, Fonds européen d’orientation et de garantie agricole. Son nom indique bien les deux missions : orientation pour la modernisation des structures agricoles et garantie des prix agricoles.

 

1/ En interne (= au sein de la CEE)

Il y a fixation du prix de chaque produit par les autorités communautaires (prix administrés) : le prix est fixé une fois par an à Bruxelles lors de négociations entre ministres de l’agriculture, souvent longues (« marathons ») et difficiles, à un niveau relativement élevé (par rapport aux prix mondiaux) pour préserver le niveau de vie des agriculteurs.

Il y a intervention publique sur le marché. Il est fort possible que le prix, qui s’établit spontanément sur le marché en fonction de l’offre – souvent abondante – et de la demande – ne suivant pas au même rythme, ait tendance à descendre au-dessous du prix fixé à Bruxelles.

Dans ce cas, les organismes communautaires interviennent : ils achètent aux agriculteurs les produits en excédent, à un prix supérieur au prix du marché (prix d’intervention). Ce prix, garanti, assure un niveau de vie minimum aux agriculteurs. Les pouvoirs publics « soutiennent » les prix agricoles.

 

2/ En externe : protectionnisme limité vis-à-vis des pays tiers

Les prix mondiaux sont structurellement bas (production élevée + concurrence) alors que les prix européens sont volontairement élevés, pour des raisons sociales (revenu des agriculteurs).

La CEE risque donc d’être envahie par les produits agricoles des pays tiers et de ne pas pouvoir vendre les siens hors de la Communauté. D’où la solution adoptée : un dispositif protectionniste :

  • Droits de douane sur les importations (pudiquement appelés « prélèvements : ils rendent le produit étranger plus cher que le produit européen, ce qui fonde la « préférence communautaire » (les produits agricoles européens bénéficient d’un traitement préférentiel, d’une discrimination, qui incite les utilisateurs européens de produits agricoles à acheter de préférence des produits en provenance de la CEE).
  • Subventions aux exportations (pudiquement appelés « restitutions ») : les agriculteurs vendent à l’extérieur de la communauté à un prix faible (prix mondiaux faibles) et le FEOGA leur verse la différence avec le prix européen garanti.

 

Remarques :

Le FEOGA est alimenté par deux types de ressources :

  • les prélèvements à l’importation
  • le budget de la CEE (alimenté lui-même par des contributions des pays membres)

Le protectionnisme agricole est malgré tout limité : il ne doit pas contrevenir aux engagements dans le cadre du GATT, même si les produits agricoles sont régulièrement retirés du champ de la négociation pour cause de conflictualité trop forte.

 

Cette politique sera rapidement efficace pour moderniser l’agriculture et atteindre l’autosuffisance de la CEE. Il faut noter que les intégrations successives aux pays du Sud permettront d’atteindre plus facilement l’objectif. Nous verrons qu’il sera même dépassé : surproduction (stockage de lait et de viandes) et problèmes sanitaires (ESB à terme).