C. Complément sur les profits

Il faut encore une fois se reporter à la stabilité de long terme du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits.

De même que nous avons précédemment fait apparaître les « working rich » cachés à l’intérieur de la stabilité de la part salariale, il est possible de faire ressortir un phénomène de retour des rentiers derrière la stabilité apparente de long terme de la part revenant au capital.

En France, le revenu distribuable, le résultat net est resté stable en longue période en proportion de la valeur ajoutée.

  • Dans les années 1960, les actionnaires recevaient, en dividendes ou assimilés, un peu plus de la moitié de ce revenu distribuable, le résultat net de l'entreprise (presque 60%)
  • Entre 1974 et la fin des années 1980, la montée de la part des salaires dans la valeur ajoutée avait réduit le revenu distribuable des sociétés non financières dans de telles proportions qu'elles ne parvenaient même plus à amortir leurs équipements. On pourrait qualifier cette période de "bulle salariale".
  • Mais depuis les années 1990, le revenu distribuable est quasiment intégralement distribué aux actionnaires sous forme de dividendes ; en 2008, pour les sociététés non financières, c’est en France 108% du résultat net qui a été distribué, amenuisant la part du résultat net non distribué destiné à pourvoir à l’alimentation de la capacité d’autofinancement des sociétés. On a distribué plus que ce dont on disposait chaque année, empruntant même pour cela. Le capital amortissable n’a pas toujours été remplacé, alimentant ainsi le vieillissement de l’appareil productif et ne préparant pas l’avenir.

Ainsi, au lieu de consacrer suffisamment de leurs bénéfices à développer l'investissement, de nombreuses sociétés distribuent massivement à leurs actionnaires. Le capitalisme actionnarial consiste à distribuer dès aujourd'hui tout ce qui peut l'être, comme si les dirigeants ne croyaient plus aux mérites de l'autofinancement pour valoriser leur entreprise.

 

Cette montée vertigineuse de la distribution des dividendes se retrouve également dans de nombreux autres pays, comme aux États-Unis par exemple

 

C’est une classique reconstitution des rentiers qui se profile au détriment des entrepreneurs.

 

5. Synthèse au regard des connaissances actuelles

A. Synthèse quant aux inégalités dans le monde

Les indicateurs d'inégalités dans le monde manifestent des tendances apparemment contradictoires mais ils reposent en réalité sur des concepts différents. Les informations qu'ils fournissent se révèlent alors complémentaires. Le fait que les inégalités entre les revenus moyens de plus de 150 pays augmentent n'exclut pas, en effet, que la majorité de la population mondiale appartienne à des pays dont les revenus moyens tendent à se rapprocher. Pour avoir une image complète des inégalités mondiales, il faut cependant aller au-delà des moyennes nationales et prendre en compte les inégalités internes.

Les estimations diffèrent alors non plus par les concepts, mais par les données et les méthodes statistiques utilisées : selon que l’on raisonne sur des pays ou les individus, selon que l’on pondère les pays par leur population ou pas, selon que l’on s’intéresse aux inégalités entre pays ou à l’intérieur des pays.

 

1) Les inégalités internes

Leur mesure renvoie à la mesure des disparités de revenus à l’aide des déciles, du rapport interdéciles.

 

Les inégalités internes après avoir baissé remontent en moyenne à partir des années 1990, surtout dans les pays anglo-saxons et plus tard et moins fort en France.

  • Dans les pays développés, le mouvement est à relier à celui de l’apparition des « working rich » avec la mondialisation financière (Travaux Piketty, Saez, Landais).
  • Dans les pays émergents, les inégalités internes augmentent très vite conformément à l’enseignement de la courbe de Kuznets dans sa partie valide : lors des situations de décollage, d’émergence, les inégalités internes progressent rapidement pour ensuite diminuer (Rappel : c’est la suite de l’évolution qui est plus discutable et ne s’apparente pas à une loi empirique).

2) Les inégalités « non internes » : plusieurs approches

a) Les inégalités entre pays

Les pays sont classés en fonction de leur Pib par tête et on calcule un indicateur de répartition, qui mesure l’écart entre la distribution observée et une distribution parfaitement égalitaire. Dans ce cas, chaque pays compte statistiquement comme « un individu ».

Les inégalités entre pays ont augmenté, mais ont reculé quelques années avant la crise.

Mais cet indicateur n’est vraiment pas satisfaisant ; le résultat qu’il donne n’est donc pas intéressant compte tenu du fait que chaque pays compte pour un élément indépendamment de sa « taille » .

b) Les inégalités internationales

Ce sont les inégalités entre pays pondérés par leur population. Dans le calcul précédent, un petit pays riche (ex : le Luxembourg) pèse autant qu’un grand pays pauvre (ex : la Chine). Pour compenser ce biais, on pondère chaque pays en fonction de sa population. La Chine comptera plus que le Luxembourg.

 

Quand on tient compte de la taille de leur population, les inégalités entre pays nommées alors « inégalités internationales » ont augmenté, moins vite à partir des années 1960, jusqu’aux années 1980 et décru ensuite depuis les années 1990 grâce à la croissance enregistrée par la Chine et l’Inde, pays très peuplés.

C’est un retournement historique.

c) Les inégalités mondiales ou globales

Le calcul précédent n’est pas encore satisfaisant car chaque chinois figure avec un revenu chinois moyen. Or, les inégalités peuvent se creuser à l’intérieur d’un pays, ce qui est le cas par exemple en Chine. Il faut donc calculer un indice global qui mélange l’ensemble des habitants de la planète, (et qui synthétise donc à la fois les inégalités intra et les inégalités inter).

 

En prenant en compte l’ensemble des habitants de la planète, les inégalités mondiales se creusent à partir de 1980 et se stabilisent mais à un niveau historiquement très élevé, puis décroissent. L’élévation du niveau de vie moyen de millions de chinois et d’indiens en particulier joue de façon forte.

 

Conclusion partielle :

Ainsi, l’inversion de tendance est très nette à l’heure actuelle et semble s’accélérer.

Cependant, l’inégalité des niveaux de vie entre habitants de la planète (inter) décroissante combinée avec la hausse d’inégalité plus ou moins prononcée à l’intérieur des nations (intra) amène à s’interroger : aujourd’hui, le premier mouvement domine le second, les inégalités internationales diminuent plus fortement que les inégalités intranationales n’augmentent.

 

Mais n’y-a-t-il pas un risque d’internalisation de l’inégalité mondiale, c’est-à-dire que l’inégalité entre pays soit remplacée par l’inégalité interne aux pays ?