Auteur de la mi-XIX° siècle, il est longtamps resté oublié en France, à l’exception d’auteurs dans les années 60 à 80 comme R. Aron en philosophie politique, H. Mendras en sociologie ou François Furet en histoire. D’aucuns préféraient « avoir tort avec Sartre que raison avec Aron » à une époque où les sciences sociales se devaient d’être marxistes pour exister.

Les Etats-Unis ont maintenu des centres de recherche dédiés à l’étude de son œuvre en science politique, encore aujourd’hui.

La pensée de Tocqueville a fait un retour important en France où il est même apparu dans les années 1990 dans le programme des terminales ES des lycées comme un auteur à étudier à côté de Marx et d’autres figures illustres. De grands penseurs l’ont réintégré dans leur analyse de façon importante, Pierre Rosanvallon par exemple.

 

Pour nous, c’est bien par rapport aux thèmes sur l’égalité et l’inégalité que nous venons chercher sa pensée.

 

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Tocqueville est issu d'une famille aristocratique conservatrice. Magistrat, il prête serment au nouveau régime en 1830 (Monarchie de juillet avec Louis Philippe). Il part aux États-Unis étudier le système pénitentiaire. Il fait en réalité un voyage d'enquête consacré au fonctionnement démocratique américain sur la base d'interviews de juristes, journalistes, hommes politiques etc. « J'avoue que dans l'Amérique, j'ai vu plus que l'Amérique ; j'y ai cherché une image de la démocratie elle-même ». En 1839, il est député et conseiller général. En 1848, il rallie la République. Ministre des affaires étrangères de Louis-Napoléon Bonaparte de juin à octobre 1849, il se retire de la vie politique lors du coup d'Etat du 2 septembre 1851.

Il écrit deux ouvrages : De la démocratie en Amérique en 1835 d’où sont issus les passages entre guillemets, L’Ancien régime et la révolution en 1856.

 

1. La modernité : passage de l’aristocratie à la démocratie, un état social caractérisé par un processus d’égalisation des conditions aboutissant à la moyennisation de la société

 

A. De l’Ancien régime aristocratique à la démocratie : liberté et égalité sont devenues les deux valeurs centrales

 

1) Les sociétés aristocratiques d’Ancien Régime (sociétés traditionnelles) reposent sur un principe hiérarchique

La démocratie ne se pense pas tant par rapport à la monarchie que par rapport à l’aristocratie.

En Europe, les sociétés féodales étaient organisées et hiérarchisées en ordres (noblesse, clergé, tiers état au sein duquel figurait la bourgeoisie naissante). Les régimes aristocratiques d'Ancien régime reposent sur :

  • L'héritage des positions sociales, du statut, de la fortune et du savoir par la naissance. La division sociale en ordre : les positions sociales sont établies de façon intangible par la naissance et par le rang.
  • La concentration de tous les avantages et privilèges dans les mains d'un seul ordre organisé pour l'exercice du pouvoir (aristocratie forte).

La légitimité est d'ordre divin ; la naissance détermine l'ensemble des positions sociales et la mobilité sociale est impossible ou exceptionnelle. Hérédité sociale, autorecrutement et homogamie marquent la société.

 

2) Les peuples ont acquis un « goût pour la liberté »

Ce goût pour la liberté est un sentiment ancien qui se développe : c’est par exemple J. Locke et les progrès de la démocratie parlementaire en Angleterre, ce sont les Lumières, c’est la Révolution française.

Pour Tocqueville, la liberté est la valeur noble des sociétés modernes démocratiques qui naissent en Europe et qui existe dans la société américaine alors qu’elle lui apparaît bridée dans les sociétés européennes.

 

3) La démocratie (société moderne) ne peut reposer sur la seule liberté : la « passion pour l’égalité » apporte un renfort nécessaire à l’établissement de la démocratie et pousse à l’égalisation des conditions


a) La démocratie est un état social qui se caractérise avant tout par une passion pour l’égalité

Plus qu’une définition politique (souveraineté du peuple et état de droit), Tocqueville donne une définition avant tout sociale de la démocratie. La démocratie est un état social qui se caractérise par une passion pour l’égalité. La passion pour l’égalité est « ardente, éternelle, insatiable et invincible ». Ce n’est pas un état, c’est un mouvement, une tendance puissante, profonde et universelle. On passe de la hiérarchie de l’aristocratie à l’égalité de la démocratie.

La liberté ne saurait triompher seule : c'est de la passion de l’égalité qu'il attend le renfort nécessaire et décisif. Car l’égalité renferme en soi un mécanisme qui est le ressort même des sociétés démocratiques.

 

b) La passion pour l’égalité pousse à l’égalisation des conditions

On peut distinguer trois formes d’égalité englobées dans l’égalisation des conditions :

  • Egalité de droit (ou des conditions juridiques) : c’est l’égalité des Hommes devant la loi et la généralisation des relations contractuelles.
  • Egalité des chances (ou méritocratie) : c’est l’accès aux positions sociales dans la stratification sociale en fonction de ses talents et de ses aptitudes : la mobilité sociale est possible.
  • Egalité de fait (ou des conditions matérielles) : c’est le rapprochement des niveaux et modes de vie

 

B. Les démocraties sont marquées par une moyennisation des sociétés : des sociétés de classes moyennes où la mobilité sociale est possible

 

1) L’égalisation des conditions entraîne l’apparition de classes moyennes : la société tend à se moyenniser

La moyennisation de la société est la conséquence sur la stratification sociale de l’égalisation des conditions. La structure sociale se déforme : d’une pyramide (base large, sommet très étroit) elle se transforme en toupie (la masse de la population occupe une place intermédiaire entre deux faibles minorités –les riches et les pauvres- dont la position n’est pas aussi éloignée l’une de l’autre que dans les sociétés traditionnelles

Avec la disparition de l’aristocratie, par quoi la remplacer pour gouverner la société ?