2/ Les négociations dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 1995

Par le Traité de Marrakech, une véritable organisation internationale du commerce est enfin créée. (Elle n’avait pu voir le jour en 1948, à cause de l’opposition du Congrès américain).

Le GATT avait un domaine de compétence limité : seul le commerce international de marchandises était concerné par l’accord de 1948 ; cela dit, la diminution des droits de douane a été en grande partie atteinte.

 

a/ L’OMC : une nouvelle institution internationale

Avec l’OMC, il s’agit d’une assemblée permanente. Sa création génère de nouvelles obligations pour les pays membres et instaure de nouvelles procédures de règlement des différends commerciaux.

 

* Les nouvelles obligations des nations issues de la création de l’OMC

L’OMC poursuit comme le GATT la libéralisation coopérative des échanges mais celle-ci est de moins en moins envisagée en termes de baisse des barrières tarifaires et de plus en plus comme une lutte contre tout ce qui fait obstacle à la possibilité d’entrer sur un marché pour un nouvel entrant.

L’Uruguay round avait déjà inclus dans son champ de discussions des thèmes nouveaux pour le GATT : la multiplication des « questions liées au commerce » (commerce et environnement, commerce et concurrence, commerce et investissement, commerce et standards techniques, et.). Ce sont moins les barrières aux frontières qu’au-delà des frontières qui sont en jeu, tels les dispositifs institutionnels et réglementaires. Ces domaines relevaient du pouvoir discrétionnaire des États, ils sont maintenant discutés au niveau international : c’est une explication de certaines crispations des États comme des populations qui y voient une atteinte à la souveraineté. Par exemple :

  •  L’accord ADPIC (aspect des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) assure la protection des brevets et des marques pour empêcher la contrefaçon, utilisé par les pays développés pour empêcher la production de médicaments génériques par l’Inde et le Brésil.
  •   L’Accord SPS (accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires) établit un cadre contraignant pour éviter un protectionnisme déguisé fondé sur des prétextes sanitaires.

 

* Les nouvelles procédures de règlement des différends commerciaux

Le GATT n’était qu’un simple accord qui n’avait pas de véritables pouvoirs pour régler les différends que ne manquent pas de susciter les échanges internationaux. Les litiges (les différends) étaient réglés de manière unilatérale : sanctions à l’égard des partenaires. Ex : section 301 aux E-U.

Avec l’OMC, l’objectif est de créer un organisme international chargé de réguler les échanges internationaux, de faire respecter les accords de libre-échange et de régler les conflits en disposant de pouvoirs lui permettant de faire appliquer effectivement ses décisions. Il s’agit donc de mettre en œuvre une avancée en direction du multilatéralisme des échanges.

Au sein de l’OMC est créé un véritable organisme chargé de régler les différends entre pays et doté de pouvoirs pour faire appliquer ses décisions, l’ORD, « Organisme de règlement des différends ».

 

  • Le dispositif
  1. 1ère phase : lorsqu’une plainte est déposée, pour non-respect des accords internationaux de libre-échange, les pays membres concernés peuvent tenter, pendant deux mois, un règlement à l’amiable.
  2.   2ème phase : si cette première méthode a échoué, une commission d’arbitrage doit statuer sous six mois.
  3.   3ème phase : la décision peut faire l’objet d’appel qui confirme, modifie ou infirme la décision.
  4.   4ème phase : si le pays déclaré coupable n’obtempère pas, l’organisme de règlement des différends de l’OMC peut autoriser le pays dont la plainte a été reconnue comme fondée et qui pourtant n’a pas obtenu satisfaction, à prendre des mesures de rétorsion (droits de douane plus élevés) pour un montant déterminé.

 

  •   La portée : cela rompt avec les pratiques unilatérales. L’ORD est un progrès dans le traitement multilatéral et coopératif des litiges commerciaux

 

  •  Les limites

L’OMC ne dispose pas de moyens propres pour faire respecter le droit. Il doit se limiter à autoriser le pays lésé à mettre lui-même en œuvre des sanctions : l’organisation et sa procédure sont de nature multilatérale, mais l’application reste unilatérale avec autorisation et contrôle de l’ampleur de la sanction.

Le problème est donc que l’OMC a pour fonction de promouvoir le multilatéralisme dans les relations commerciales mais les pratiques bi unilatérales n’ont pas disparu.

 

Un pays peut préférer supporter des sanctions plutôt que de modifier sa réglementation à la suite d’une condamnation par l’OMC. (ex : UE condamnée pour avoir interdit l’importation de viande de bœuf aux hormones en provenance des EU et qui préfère supporter les mesures de rétorsion que lui infligent les E-U après autorisation de l’OMC plutôt que de revoir sa décision).

Signalons tout de même le dernier jugement en date de mars 2010 sur le coton, différend opposant les Etats-Unis et le Brésil. (Le dossier du Tchad, du Mali, du Bénin et du Burkina-Faso est toujours en panne…)

« Le gouvernement brésilien a annoncé lundi 8 mars qu'il allait prendre des sanctions économiques contre une liste de produits américains. La taxe à l'importation sur des produits allant du ketchup Heinz aux automobiles Ford en passant par des cosmétiques sera augmentée jusqu'à 50%, en représailles à la condamnation des Etats-Unis par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pour ses subventions illégales à ses producteurs de coton.

L'OMC a autorisé l'année dernière le Brésil à imposer des sanctions annuelles allant jusqu'à 829 millions de dollars contre les Etats-Unis. Les sanctions annoncées pour cette année s'élèvent à 591 millions de dollars (432 millions d'euros), et le Brésil a fait savoir qu'elles resteraient en place tant que les Américains subventionneront leur production de coton.

Le Brésil affirme notamment que les États-Unis ont pu se maintenir au deuxième rang mondial des exportateurs de coton en aidant ses producteurs à hauteur de 3 milliards de dollars par an.

Selon la BBC, cette dispute, qui dure depuis 2002, est une des rares où l'OMC a permis des sanctions croisées, à savoir des représailles économiques contre des secteurs qui ne sont pas impliqués dans le conflit. » in Slate.fr, 09 mars 2010

(des sanctions directes auraient été des droits de douane sur le coton américain)

 

Deux domaines essentiels concernant les échanges internationaux lui échappent :

  • le protectionnisme monétaire (la sous-évaluation des monnaies), instrument redoutable
  • les investissements directs à l’étranger (IDE) qui conditionnent largement les échanges : ceux-ci avaient fait l’objet d’une tentative d’accord, l’AMI, accord multilatéral sur l’investissement, qui avait été rejeté vigoureusement dans de nombreux pays car faisant la part trop belle aux FMN.

 

b/ Le dernier cycle de négociation depuis 2001 : le cycle de Doha

 

* Le démarrage difficile d’un nouveau cycle de négociation (Doha)

 

  - Les négociations commencent dans le tumulte 

 

La première alerte est l’échec de la conférence de Seattle (1999). En décembre 1999 se réunit la 3ème conférence ministérielle de l’OMC (réunion périodique de ministres des pays membres) à Seattle (E-U). Elle doit préparer le lancement d’un nouveau cycle global de négociations. Cette conférence échoue :

  • en apparence pour des raisons exclusivement « externes » à l’organisation : manifestations importantes organisées par un ensemble très hétérogène d’ONG, de mouvements anti ou alter mondialisation qui reprochent à l’OMC d’être l’instrument d’une mondialisation libérale. C’est la première d’une série de manifestations d’importance qui s’affirmeront par la suite.
  • en réalité, la conférence échoue aussi – et surtout – pour des raisons « internes » à l’OMC : il existe des oppositions entre délégations, qui empêchent d’arriver à un accord.
  • Oppositions entre pays développés : certains contentieux, incomplètement réglés lors de l’Uruguay round, demeurent, notamment entre les E-U et l’UE (agriculture, exception culturelle)
  • Surtout : l’émergence d’une opposition organisée des pays en développement. Les pays du Sud reprochent aux pays riches de prendre entre eux les décisions importantes ; ils veulent participer effectivement et ne pas être lésés.

Les ministres se séparent sur un constat d’échec et ils décident de se rencontrer régulièrement au siège de l’OMC, à Genève, pour tenter de rapprocher progressivement les différentes positions.

 

 

En novembre 2001, les délégations finissent par se mettre d’accord pour lancer un nouveau cycle de libéralisation des échanges internationaux. C’est le 9e cycle de négociations internationales (round), depuis la création du GATT (1948) ; il est lancé à Doha (Qatar) (ce qui lui donne son nom) ; il a pour objectif affiché d’apporter un surcroît de développement aux pays les plus pauvres (« cycle du développement »).

Il devait s’achever en 2005, avec une conférence à mi-cycle (2003, à Cancun, Mexique). À la conférence de Cancun (2003), on constate l’importance des difficultés : il y a plusieurs sujets de discorde (cf. infra).

 

   - Explications : la multiplicité des dossiers épineux

Les difficultés du multilatéralisme, et plus largement, de la poursuite du progrès du libre-échange coopératif, résultent de la convergence de plusieurs explications :

 

  • Des explications générales tenant à la nature de la négociation :

La complexité des marchandages : chaque pays s’efforce de concéder le moins possible de diminution de la protection de ses activités d’en obtenir un maximum de la part des autres

Une négociation complexe : les décisions doivent se prendre à l’unanimité de 150 pays…

 

  • Les difficultés spécifiques à certains dossiers épineux

 

- Le protectionnisme agricole

Ce dossier, le plus sensible dans la négociation, oppose les pays qui restent attachés au protectionnisme (E-U, UE), qui protègent leur agriculture aux pays qui contestent ce protectionnisme : il s’agit d’une « alliance contre nature » de pays gros exportateurs, très performants, et qui protestent donc contre cette concurrence déloyale (« groupe de Cairns », 17 pays dont l’Australie, le Canada, le Brésil, l’Argentine, la Thaïlande, …) et des pays handicapés par le protectionnisme agricole et qui, en même temps, bénéficient de traitements préférentiels (ex : pays ACP [Afrique Caraïbes Pacifique] avec l’UE)

Le dossier agricole interfère avec d’autres dossiers, ce qui place certains pays dans des positions contradictoires, ce qui ne les empêche pas de les défendre avec vigueur :

o Les E-U et l’UE veulent une ouverture des marchés de services des pays émergents mais tout en continuant à protéger leurs agriculteurs

o L’Inde veut pouvoir exporter facilement ses services tout en ne s’ouvrant pas trop vite aux IDE et en protégeant son secteur agricole

o Les pays pauvres résistent à une ouverture massive de leurs frontières qui les soumettrait à une concurrence dévastatrice et les priverait de recettes fiscales importantes, mais souhaitent continuer à bénéficier de certains traitements préférentiels

 

- Les normes sociales

Les échanges internationaux se font entre des pays aux pratiques très différentes en matière de rémunération, de condition de travail et de protection sociale : dans certains pays émergents, les conditions de travail sont identiques à celles des pays occidentaux au moment de la 1ère RI avant la mise en place d’une législation protectrice (ex : les enfants dans la confection de chaussures de sport, de ballons, …)

L’idée est avancée, dans les PDEM, qu’il devrait y avoir des normes sociales internationales à respecter par tous les pays participant à l’échange. Les pays contrevenant à ces normes s’exposeraient alors à des sanctions publiques (par exemple, des interdictions d’importation) ou privées (boycott déclenché par des ONG, des associations de consommateurs). Il existe quelques normes publiques mais elles ont peu d’effet :

o Des normes sont établies par des organisations internationales (ONU dont l’OIT [Organisation Internationale du Travail]). Ce sont de simples conventions internationales qui n’engagent que les pays ayant accepté de les signer, sans pouvoir contraignant.

o La mise en place de normes obligatoires se heurte à l’opposition des gouvernements des PED : ils veulent sauvegarder leur compétitivité fondée souvent sur des avantages comparatifs justement constitués par une main-d’œuvre abondante, mal payée, mal protégée et par l’inexistence de normes sanitaires et environnementales contraignantes. Ils accusent donc les pays développés de vouloir, à travers l’établissement de telles normes, « casser » ces avantages et, donc faire, en fait, du protectionnisme déguisé.

 

- La propriété intellectuelle

La propriété intellectuelle permet aux innovateurs de percevoir des revenus (licence d’utilisation de brevets, droits d’auteur). Elle est un revenu important pour les E-U. Les FMN, en particulier américaines, ont réussi, grâce à du lobbying, à faire adopter en 1994 dans le cadre de l’Uruguay round, les ADPIC (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, ou TRIPS).

 

  Les brevets ne protègent plus seulement des produits ou des procédés réellement inventés mais aussi la découverte d’informations scientifiques présentes dans la nature (séquence ADN du riz).

Cette extension de la propriété privée pose problème dans plusieurs domaines, en particulier pour les médicaments et les OGM qui au-delà du débat sanitaire sont le cheval de Troie d’une extension accrue de la brevetabilité du vivant.

Dans la lancée, la Conférence Interministérielle de l’OMC, à Doha, en 2003, a donné l’autorisation pour les pays se considérant en situation « d’urgence sanitaire » de délivrer une « licence d’office » (c’est-à-dire sans négociation avec la firme détenant le brevet) : dans ces pays, l’Etat autorise (licence) un laboratoire national à fabriquer à l’usage de la population du pays, une version générique d’un médicament qui, pourtant, est encore protégé par un brevet.