Le rôle de la fiscalité


Les institutions ne sont pas seules en cause. La fiscalité a également joué sur le recours des entreprises aux nouveaux paquets salariaux pour rémunérer leurs cadres dirigeants. Ceci pose plus généralement la question de l'impact de la fiscalité sur les inégalités de revenus primaires.

 

Aux Etats-Unis, au Canada, au Japon, mais également en France sur la période récente, il semble que les baisses importantes des taux marginaux de l'imposition des revenus aient concordé avec une augmentation rapide de la part des hauts revenus dans le revenu total.

 

 

Il est très important de distinguer les effets de court terme de ceux de long terme, et même de ceux de très long terme.

 

  • La plupart des études empiriques confirment en effet que dans le court terme, les hauts revenus sont relativement élastiques aux taux marginaux d'imposition. C'est-à-dire que lorsque les taux marginaux baissent, les revenus reportés à l'administration fiscale (et en particulier les hauts revenus) augmentent. Un entrepreneur peut ainsi choisir de se verser un salaire plus élevé plutôt que de payer l'impôt sur les bénéfices si le taux d'imposition des revenus baisse.

 

  • Dans le moyen terme, ces effets s'estompent rapidement, de sorte que la fiscalité ne peut prétendre expliquer à elle seule l'explosion des hauts revenus dans les pays anglo-saxons.

 

  • Pour autant, dans le long terme, les effets de la fiscalité peuvent être relativement importants sur le niveau des inégalités: en effet, une fiscalité fortement redistributive, en réduisant le revenu disponible des ménages les plus aisés, réduit leur niveau d'épargne, et freine donc leur accumulation patrimoniale. C'est en particulier ce phénomène qui explique qu'après la forte compression des inégalités au cours du premier XX° siècle, les très hauts patrimoines ne se soient pas reconstitués rapidement: la forte stabilité des inégalités entre 1945 et les années 80 est donc en partie imputable à la fiscalité. 

 

La forte baisse de l'imposition des revenus et des patrimoines dans la plupart des pays de l'OCDE, si elle ne peut être tenue totalement pour responsable de la croissance des très hauts revenus pour le moment, risque donc de n'être pas sans effet sur le niveau des inégalités dans le futur.

 

Car les enfants des « working rich » d'aujourd'hui sont potentiellement les nouveaux rentiers de demain.

 

2.3. Complément sur les profits

Il faut encore une fois se reporter à la stabilité de long terme du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits.

 

De même que nous avons précédemment fait apparaître les « working rich » cachés à l’intérieur de la stabilité de la part salariale, il est possible de faire ressortir un phénomène de retour des rentiers derrière la stabilité apparente de long terme de la part revenant au capital.

 

En France, le revenu distribuable, le résultat net est resté stable en longue période en proportion de la valeur ajoutée.

 

  • Dans les années 1960, les actionnaires recevaient, en dividendes ou assimilés, un peu plus de la moitié de ce revenu distribuable.

 

  • Entre 1974 et la fin des années 1980, la montée de la part des salaires dans la valeur ajoutée avait réduit le revenu distribuable des sociétés non financières dans de telles proportions qu'elles ne parvenaient même plus à amortir leurs équipements. On pourrait qualifier cette période de "bulle salariale". Conséquence: les versements nets de dividendes aux actionnaires ont alors été réduits à peu de chose: de 12 à 20 milliards d'euros 2007 selon les années, soit de 2,5 à 3% de la valeur ajoutée brute réalisée par les SNF durant ces années "grises". Pour faire bref, on peut dire que les salaires comprimaient alors tellement le profit brut (avant paiement des charges financières, des impôts et des dividendes) que les dividendes, eux aussi, étaient comprimés et que les entreprises devaient alors avoir recours fortement à l'endettement pour financer leurs éventuels projets d'investissements ou le remboursement de leurs emprunts antérieurs.

 

  • Mais depuis les années 1990, le revenu distribuable est quasiment intégralement distribué aux actionnaires sous forme de dividendes ; en 2008, c’est en France 108% du résultat net qui a été distribué, amenuisant la part du résultat net non distribué destiné à pourvoir à l’alimentation de la capacité d’autofinancement des sociétés. On a distribué plus que ce dont on disposait, empruntant même pour cela. Le capital amortissable n’a pas toujours été remplacé, alimentant ainsi le vieillissement de l’appareil productif et ne préparant pas l’avenir.

Ainsi, au lieu de consacrer une part de leurs bénéfices à développer l'investissement, les entreprises la distribuent à leurs actionnaires. Le capitalisme actionnarial consiste à distribuer dès aujourd'hui tout ce qui peut l'être, comme si les dirigeants ne croyaient plus aux mérites de l'autofinancement pour valoriser leur entreprise.

 

Le présent est survalorisé par rapport à l'avenir.

 

Cette montée vertigineuse de la distribution des dividendes observée au dessus en France se retrouve également dans de nombreux autres pays, comme aux Etats-Unis par exemple

 

C’est une classique reconstitution des rentiers qui se profile au détriment des entrepreneurs.